France : Nicolas Sarkozy condamné à trois ans de prison pour corruption dans l’affaire des « écoutes »
Une décision sans précédent : l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, a été condamné, lundi 1er mars, par le tribunal correctionnel de Paris pour corruption et trafic d’influence.
Nicolas Sarkozy a été reconnu, lundi dernier, coupable de corruption et de trafic d’influence par le tribunal correctionnel de Paris dans l’affaire dite des « écoutes ». L’ancien chef de l’État a été condamné à trois ans de prison dont deux avec sursis et pourrait donc bénéficier d’un aménagement de peine.
Nicolas Sarkozy devient ainsi le premier ancien président de la Ve République condamné pour corruption, et le deuxième à être sanctionné par la justice, après son ancien mentor Jacques Chirac condamné en décembre 2011 à deux ans de prison dans le dossier des emplois fictifs de la ville de Paris.
Le parquet national financier (PNF) avait requis contre l’ex-président de 66 ans quatre ans d’emprisonnement dont deux ferme, estimant que l’image présidentielle avait été « abîmée » par cette affaire aux « effets dévastateurs ».
Le tribunal correctionnel a estimé qu’un « pacte de corruption » avait été conclu entre l’ex-président, son avocat Me Thierry Herzog et l’ancien haut magistrat Gilbert Azibert, également condamnés à trois ans de prison dont un ferme.
Nicolas Sarkozy, qui a été « garant de l’indépendance de la justice, s’est servi de son statut d’ancien président pour gratifier un magistrat ayant servi son intérêt personnel », a déclaré la présidente de la 32ème chambre correctionnelle de Paris, Christine Mée, estimant que le « pacte de corruption » était bien constitué.
En sus de cette sanction, l’avocat historique de l’ex-président, Thierry Herzog, est condamné à 5 ans d’interdiction professionnelle. À l’instar du haut magistrat, Gilbert Azibert, il a été également reconnu coupable de violation du secret professionnel.
« Je le fais monter »
L’affaire des « écoutes » remonte à 2014. Dans le cadre de l’enquête sur les soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007- qui lui a valu depuis une quadruple mise en examen -, les juges découvrent que Nicolas Sarkozy utilise une ligne téléphonique secrète, ouverte sous l’alias de « Paul Bismuth », pour communiquer avec son avocat Thierry Herzog.
Une dizaine de leurs conversations ont été retranscrites. Pour le tribunal, elles prouvent bien qu’un « pacte de corruption » a été conclu entre Nicolas Sarkozy, son avocat et l’ancien haut magistrat Gilbert Azibert.
Pour le ministère public, Gilbert Azibert a transmis, via Thierry Herzog, des informations couvertes par le secret et tenté d’influer sur un pourvoi en cassation formé par Nicolas Sarkozy, en marge de l’affaire Bettencourt.
L’ancien locataire de l’Élysée voulait alors faire annuler la saisie de ses agendas présidentiels, après avoir obtenu un non-lieu dans l’affaire Bettencourt. Gilbert Azibert, alors avocat général dans une chambre civile de la haute juridiction, n’intervenait pas directement dans ce dossier mais il a, selon le tribunal, joué de ses relations.
En échange, Nicolas Sarkozy a accepté d’appuyer la candidature du magistrat, Gilbert Azibert, pour un poste de prestige à Monaco.
« Il a bossé hein ! », lance notamment Me Herzog dans un des échanges lus à l’audience. « Moi, je le fais monter », affirme un autre jour Nicolas Sarkozy.
« Désert de preuves »
Devant le tribunal, lors du procès qui s’est achevé le 10 décembre 2020, ses avocats avaient fait valoir qu’in fine Nicolas Sarkozy n’avait pas eu gain de cause devant la Cour de cassation et que Gilbert Azibert n’avait jamais eu de poste à Monaco. Selon la loi, il n’est cependant pas nécessaire que la contrepartie ait été obtenue, ni que l’influence soit réelle, pour caractériser les délits de corruption et de trafic d’influence.
Ces conversations n’étaient que des « bavardages entre amis », avaient argué les avocats de la défense, qui avaient brocardé les « fantasmes », « hypothèses » et « procès d’intention » de l’accusation. Face à un « désert de preuves », ils avaient plaidé à l’unisson la relaxe des prévenus, qui encouraient dix ans de prison et un million d’euros d’amende.
Tout au long du procès, dans une chambre houleuse, la défense avait pilonné un dossier « poubelle », réclamant l’annulation de la totalité de la procédure, basée selon elle, sur des écoutes « illégales » car violant le secret des échanges entre un avocat et son client.
« Personne ici ne cherche à venger d’un ancien président de la République »
Les avocats des prévenus avaient aussi torpillé une enquête préliminaire parallèle menée par le Parquet national financier (PNF). Visant à identifier une éventuelle taupe ayant pu informer en 2014 Thierry Herzog que la ligne Bismuth était « branchée », elle a conduit à faire éplucher leurs factures téléphoniques détaillées (« fadettes »).
Elle a été classée sans suite près de six ans après son ouverture. Trois magistrats du parquet financier, notamment son ancienne cheffe, Eliane Houlette, sont visés depuis septembre dernier par une enquête administrative, dont les conclusions sont imminentes.
Dans ce contexte tendu, Jean-François Bohnert, magistrat, procureur de la République financier, était venu en personne le jour du réquisitoire pour défendre l’institution tout juste créée quand l’affaire des « écoutes » a éclaté, et assurer : « Personne ne cherche à se venger d’un ancien président de la République ».
Retiré de la politique depuis 2016 mais toujours très populaire à droite, un an avant le prochain scrutin présidentiel, Nicolas Sarkozy est sous forte pression judiciaire. Il devra affronter, dès le 17 mars, un deuxième procès, dans l’affaire « Bygmalion », portant sur les frais de sa campagne présidentielle de 2012. Il est également soupçonné de financement libyen de sa campagne victorieuse de 2007.
Déclarés coupables de corruption et de trafic d’influence dans l’affaire des « écoutes », les trois condamnés ont fait appel de la décision. Affaire à suivre.
Robert Kongo, correspondant en France
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