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Éclairage : De la violation intentionnelle de la Constitution à la mise en accusation

Les ordonnances du 17 juillet 2020 portant nomination et permutation de quelques hauts magistrats ont agité les caciques du FCC qui, par nostalgie, redoutent la perte de leur mainmise sur les cours et tribunaux. L’affaire a pris un tournant plutôt dramatique lorsque deux anciens candidats malheureux à la présidentielle de 2018 ont collégialement embouché la trompette de «mise en accusation du Président Tshisekedi pour violation intentionnelle de la Constitution».Ce discours a squatté avec virulence les médias. Mais que dit la Constitution ? Éclairage d’un observateur.

Près de deux mois après l’agitation politique consécutive à la promulgation des ordonnances de nominations et de permutations dans la haute hiérarchie du corps judiciaire, les passions commencent apparemment à s’apaiser. Mais pour combien de temps ? Toujours est-il que la croisade portée par Martin Fayulu, Me Théodore Ngoy et Pr Nyabirungu Mwene Songa, dénonçant ’’la violation intentionnelle de la Constitution’’ par le Président de la République perturbe jusqu’aux équilibres psychologiques, partisans et ethniques qui forgent la nation.

C’est le lieu de rappeler que le grand art en politique, c’est d’entendre ceux qui se taisent. Car ceux qui se taisent ne le font ni par ignorance ni par indifférence. Donc, le discours du trio vaut bien une analyse et non une banalisation. Car ses accointances avec l’ancien régime sont révélatrices d’un état d’esprit.

D’après Nyabirungu, ’’les ordonnances du 17 juillet 2020 ont violé le droit’’. Le chef de l’État a violé les huit articles suivants : 1, 12, 79 al. 4, 82, 91, 150, 152 et 158. Dissertons en répondant à quelques questions.

Est-ce que le Président de la République a compétence pour nommer les magistrats ? La réponse est affirmative, conformément à l’article 82 de la Constitution évoqué par le Pr Nyabirungu : ’’Le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, par ordonnance, les magistrats du siège et du parquet sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature. Les ordonnances dont question à l’alinéa précédent sont contresignées par le Premier ministre’’.

Ordonnances motivées par le CSM

Les ordonnances font référence à cette disposition ainsi qu’aux procès-verbaux du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Donc le travail a été fait dans les règles.

Tshisekedi devait-il rejeter la proposition du Conseil supérieur de la magistrature ? Non et c’est en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, article 149, al. 1er qui dispose que’’Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est dévolu aux cours et tribunaux qui sont : la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation, le Conseil d’État, la Haute Cour militaire ainsi que les cours et tribunaux civils et militaires’’. Et suivant l’article 152, al. 1er qui stipule que’’Le Conseil supérieur de la magistrature est l’organe de gestion du pouvoir judiciaire’’.

Ces ordonnances ont donc été motivées par le ’’Conseil supérieur de la magistrature’’ qui statue au quotidien sur la situation des magistrats : affectation, discipline, désignation et promotion à soumettre au chef de l’État pour nomination, relèvement ou révocation.

Jusqu’à ce niveau, le chef de l’État n’a pas violé la Constitution dans la mesure où il n’a pas le pouvoir de rejeter la décision du CSM. Il n’a pas non plus l’obligation de connaître les magistrats à nommer ou à révoquer, leurs dossiers étant traités par l’organe habilité, le CSM. Si erreur il y a, il faut l’imputer au Conseil supérieur de la magistrature.

Pourquoi ces nominations et permutations n’ont pas été présentées en Conseil des ministres ? L’ordonnance du chef de l’État n’est pas un acte conjoint avec le Premier ministre. La Justice, comme l’Armée, ne sont pas des domaines à soumettre au partage entre les membres de la coalition. Les magistrats et les militaires sont les agents de l’État. Ils ne sont membres ni du CACH, ni du FCC, encore moins de Lamuka.

Le régime semi-parlementaire ou semi-présidentiel ne veut pas que le chef de l’État soit responsable devant le Parlement. Voilà pourquoi le gouvernement doit l’accompagner uniquement pour des raisons d’exécution.

Où établir ’’l’intention’’ du chef de l’État

Le contreseing du Premier ministre ne fonde pas la légalité de l’acte du Président de la République. Et l’intérim du ministre ayant la préséance n’est pas limité. L’empêchement du Premier ministre a été constaté et attesté. Par conséquent, le Vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur, qui a la préséance, avait le droit de signer ces ordonnances surtout qu’il ne s’agit pas des matières à soumettre ni au partage entre familles politiques, ni au débat du Conseil des ministres. Nous répétons que les propositions sont venues d’un corps constitué jouissant de son indépendance.

Qu’en est-il de la « violation intentionnelle » de la Constitution évoquée ? Pour poursuivre le chef de l’État, il faut établir qu’il a violé intentionnellement la Constitution.Ce qui cristallise l’infraction de violation de la Constitution ou son élément matériel, c’est l’intention. Alors, par où et par quoi peut-on établir l’intention du chef de l’État ? Les décisions, disons-le une fois de plus, ont été proposées et motivées par le Conseil supérieur de la magistrature.

Pour ce qui est de l’action de la mise en accusation, il convient de rappeler que les articles 163 à 166 organisent la mise en accusation du Président de la République. L’article 163 stipule : ’’La Cour constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d’initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices’’.

Et l’article 165 indique : ’’Sans préjudice des autres dispositions de la présente Constitution, il y a haute trahison lorsque le Président de la République a violé intentionnellement la Constitution ou lorsque lui ou le Premier ministre sont reconnus auteurs, co-auteurs ou complices de violations graves et caractérisées des droits de l’Homme, de cession d’une partie du territoire national. Il y a atteinte à l’honneur ou à la probité notamment lorsque le comportement personnel du Président de la République ou du Premier ministre est contraire aux bonnes mœurs ou qu’ils sont reconnus auteurs, co-auteurs ou complices de malversations, de corruption ou d’enrichissement’’.

Seule la Cour constitutionnelle apprécie

La décision de mise en accusation est prise en amont par le Procureur général près la Cour constitutionnelle sur base d’une plainte ou une dénonciation. C’est lui qui apprécie l’opportunité des poursuites et qui décide de saisir le Parlement pour autoriser les poursuites. Ce n’est donc pas au Parlement de déférer le Président de la République devant son juge.

Le Procureur général prend la ’’décision des poursuites’’ conformément à l’article 166 :’’Ladécision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement composant le Congrès suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur. La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation des membres du gouvernement sont votées à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur. Les membres du gouvernement mis en accusation, présentent leur démission’’.

Là aussi, il sied de recourir à la Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle qui stipule dans ses articles 101 et 102 :’’Si le Procureur général estime devoir poursuivre le Président de la République ou le Premier ministre, il adresse au président de l’Assemblée nationale et au président du Sénat une requête aux fins d’autorisation des poursuites. L’autorisation est donnée conformément aux dispositions de l’article 166 alinéa 1er de la Constitution’’.

Pourquoi donc l’agitation du FCC ? En clair, la Kabilie veut créer une crise qui ne trouvera pas des solutions judiciaires, mais plutôt politiques. Parce que les ordonnances du chef de l’État ont obtenu l’autorité de la chose ordonnée.

Joël Cadet Ndanga (CP)

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