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Reformes électorales incontournables pour sauver la démocratie en RDC

Après les trois cycles électoraux organisés par la Commission électorale en République démocratique du Congo (2006, 2011 et 2018), les reformes du système électoral s’imposent pour sauver du naufrage la démocratie et des élections mal organisées, mal gérées par une administration électorale dépourvue de neutralité et d’indépendance.  

En créant une Commission électorale comme institution d’appui à la démocratie, le constituant congolais pensait doter le pays d’un organe crédible et neutre, permettant aux Congolais, une réelle participation à la vie politique. Chargée de l’organisation du processus électoral, de l’enrôlement des électeurs, de la tenue du fichier électoral, des opérations de vote, de dépouillement et de tout référendum, cette Commission était censée assurer la régularité du processus électoral et référendaire dans toute transparence, pour mettre fin à la contestation de la légitimité des institutions et de leurs animateurs.

Si le processus électoral de 2006 était considéré comme une première expérience démocratique après une longue période des élections à candidat unique, ou même d’une période sans élections, avec les conquêtes autoritaires du pouvoir, les élections de 2011 et 2018 devaient corriger toutes les erreurs constatées et stabiliser la pratique démocratique. Plusieurs recommandations tant des acteurs politiques, de la société civile et des missions d’observation électorale étaient formulées dans ce sens.

Mais au lieu de s’améliorer, le système électoral congolais est resté l’otage d’une certaine vision politique et des acteurs politiques dépourvus de toute volonté démocratique. Les contestations et les crises persistantes créées par ces trois élections successives, ne permettent pas de garder le système électoral tel qu’il est aujourd’hui.  Des reformes doivent impérativement être opérées. Ces réformes deviennent même une condition sine qua non pour la survie ou la construction de la démocratie en République démocratique du Congo. Il s’agit d’une part, de la loi portant organisation et fonctionnement de la Commission électorale nationale dite indépendante, mais sans l’être réellement, et d’autre part, de la loi électorale qui a démontré ses limites, ses incohérences et ses faiblesses.

Composée de trois membres, dont 3 délégués de la société civile et 10 représentant les partis politiques, la Commission électorale est loin d’être un organe neutre et impartial. Ses décisions sont clairement influencées par les politiques majoritaires dans cette composition partisane ou semi politique. Il est difficile et non impossible, qu’une telle composition dans le contexte politique congolais, puisse garantir à cette structure son indépendance, dans l’organisation et la gestion des élections.

De la Commission dirigée par Abbé Apollinaire Malu Malu à celle de Corneille Naanga, en passant par celle du pasteur Mulunda, les différents membres de cette institution ont démontré par leur comportement, qu’ils n’agissaient ni en toute indépendance, ni en toute neutralité, ni en toute liberté. Cette image a discrédité cet organe auprès de la population et a considérablement contribué à la contestation des résultats électoraux. Les présidents successifs de la Commission ont été à tort ou à raison, considérés comme étant des acteurs actifs d’un camp politique au pouvoir.  De ce point de vue, au lieu de se précipiter sur le choix des animateurs de cet organe, dans un même schéma sans garantie de crédibilité ou de neutralité de cette commission, il est souhaitable d’envisager les réformes nécessaires pour la rendre crédible, neutre et réellement impartiale. 

La désignation du président de cette commission par les confessions religieuses a révélé ses limites, car fondées sur les critères apparemment obscurs et à géométrie variable. Les hommes de Dieu ont prouvé qu’ils sont faillibles et pouvaient aussi être emportés par le sentiment. Il est temps de mettre en place, les critères objectifs et impersonnels, qui s’imposent dans cette désignation, et mettre fin au clientélisme observé.

Reformer la Commission électorale, c’est rechercher son indépendance pratique et non seulement théorique, c’est aussi la rendre impartiale et neutre. Elle doit être présidée par un homme intègre, capable de résister à la corruption. Pour éviter les dérives, ses membres doivent être redevables de leurs actes. 

Faut-il toujours la présence des représentants des partis politiques au sein de la commission électorale, ou il est temps de penser à un modèle des experts ou apolitique, garantie d’une neutralité et d’une impartialité de cette institution d’appui à la démocratie ?

Dans le modèle apolitique ou non partisan, la gestion des élections relève d’un organe indépendant, dont les membres sont (au moins en théorie) choisis pour leurs qualités personnelles, leur expérience professionnelle, et leur intégrité. Ce modèle a démontré son avantage au Ghana et au Nigeria, où il a été expérimenté avec satisfaction.

Le modèle partisan de la commission électorale expérimentée en République démocratique du Congo depuis 2006, a révélé que chaque membre de cette administration électorale privilégie sa tendance ou son appartenance politique. Certains changent même de camp chemin faisant. Avec ce schéma, il est souvent difficile de trouver des critères de sélection neutres et appropriés : le critère le plus souvent retenu est celui de la représentation des partis au sein des institutions de l’État.  Ceci réduit l’influence de la société civile et de l’opposition non institutionnelle, et accentue par conséquent, la politisation de ladite commission. Par ailleurs, ceci explique la partialité constatée dans le fonctionnement de cette commission électorale congolaise, marquée par une représentation déséquilibrée des forces politiques en présence (6 pour la majorité et 4 pour l’opposition).

 Le schéma apolitique écarte théoriquement toute influence politique tant sur le plan collectif qu’individuel. Aucune formation politique (à titre individuel ou relevant, soit du pouvoir, soit de l’opposition), aucune institution de l’État n’est représentée au sein de la Commission qui est essentiellement une émanation de la société civile. Ce modèle exclut tout élément politique et se traduit par l’exclusion des partis politiques dans le choix des membres de la Commission et l’exigence même d’une non-affiliation partisane, au plan strictement personnel des membres désignés. Les pays ayant expérimenté ce modèle (surtout anglophone) sont aujourd’hui considérés sur le continent, comme un exemple démocratique et des bons élèves africains en matière d’alternance pacifique (Ghana, Nigeria ; Sénégal, etc.).

Cette réforme souhaitée et attendue de la CENI ne doit occulter d’autres réformes nécessaires. Il en est ainsi de la loi électorale elle-même qui a démontré ses insuffisances : la question se pose sur les deux tours de l’élection présidentielle, permettant de donner au président élu, une forte légitimité populaire et éviter toute contestation de sa légitimité (si toutes les opérations du processus électoral sont transparentes). Le mode d’élection des gouverneurs et des sénateurs, favorisant aujourd’hui une corruption généralisée, mérite d’être repensé. La question du vote des congolais de l’étranger doit être posée avec le même intérêt. Il s’agit, en effet, pour ces Congolais de l’étranger, d’un droit et non d’une faveur. Autant des questions devant attirer l’attention des autorités lors de ces réformes.

Toute réussite d’une élection n’est pas simplement liée à la clarté des lois, mais aussi au comportement ou à l’attitude affichée par l’administration organisatrice et gestionnaire desdites élections, qui doit tout faire pour garantir la neutralité, l’impartialité et la transparence du processus. D’où l’intérêt même de ces réformes. 

Le président Félix Tshisekedi militant de la construction de l’Etat de droit en République démocratique du Congo, doit personnellement s’impliquer dans le cadre de la coalition FCC-CACH, pour obtenir toutes ces réformes. Mettre en place une Commission électorale neutre et impartiale, pour les élections crédibles et transparentes, c’est aussi, construire un Etat de droit. Et, cela s’inscrit aussi dans sa vision du peuple d’abord, car avec une Commission électorale réellement indépendante, le peuple ne votera pas juste pour voter, mais il votera pour décider.

Au-delà de ces réformes nécessaires du système électoral, les élections libres, crédibles et transparentes sont aussi tributaires de l’affirmation de l’autorité de l’Etat sur l’étendue du territoire. C’est même le plus grand combat qui doit être mené par tous. L’existence de l’Etat doit être consolidée, garantie entre autre par un de ses piliers importants : un processus électoral transparent et le contrôle par les autorités du territoire national pour le déroulement de toutes les opérations préélectorales, électorales et post-électorales !    

Par Me Martin MULUMBA

Docteur et chercheur en Droit Public de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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