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Interprétation tous azimuts de l’article 78 de la Constitution du 18 février 2006

Sans aucun jugement de valeur, il est permis d’effectuer le constat amer suivant. En République Démocratique du Congo, nous avons souvent assisté à un phénomène inexplicable lorsqu’il y a des enjeux notamment politiques. Il s’agit  de la naissance de nombreux spécialistes et experts sur tel ou tel événement; même les non initiés (des perroquets politiques) se mettent à commenter dans tous les sens les textes légaux et/ou règlementaires, plus particulièrement la Constitution du 18 février 2006, telle qu’amendée par la loi du 20 janvier 2011. Il n’existe aucun  pays au monde où les administrés ont cette capacité intellectuelle; seulement en RDC. Ce genre de comportement induit souvent en erreur l’opinion publique laquelle veut entendre la vérité sur le sujet d’actualité.

C’est le cas aujourd’hui de l’article 78 de la Constitution sous examen.

En effet, Ce dernier déclare dans son alinéa 1er  que  « Le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci… ». Il ajoute dans l’alinéa 2 : « « Si une telle majorité n’existe pas, le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition ».

Examen de la disposition précitée

Analysons d’abord le 1er alinéa en posant la question de savoir ce que signifie l’expression : « Au sein de la majorité parlementaire ?».

Au sein de : veut dire au milieu de…, dans…, parmi…, à l’intérieur de… (cf. le dictionnaire de synonymes et contraires, Le Robert, collection Les usuels, Paris, 1999, p.654.).

De ce qui précède, c’est-à-dire, lorsque le Constituant déclare « …être au sein de la majorité parlementaire… », dans le jargon constitutionnel, cela veut signifier qu’il faut être député national ou Sénateur, être l’élu du peuple. Bref, c’est avoir la légitimité du souverain primaire pour être nommé Premier ministre. Car la « souveraineté appartient au peuple, article 5 de la Constitution » ; afin d’éviter des contestations dans le futur avec toutes les conséquences que cela peut occasionner, (crise de légitimité épinglée dans le préambule de la Constitution précitée), que le pays traverse actuellement depuis le chaos électoral du 30 décembre 2018.

Un regard comparatif et quelques précisions

Nous ne sommes pas dans le système français où selon l’article 8 de sa Constitution du 04 octobre 1958 lequel permet au Président de la République de choisir son Premier ministre (député ou pas). La volonté et/ou l’adhésion du peuple est condition sine qua non pour mieux  exercer le pouvoir, se sentir dans tous ses éléments dès lors qu’on a sa confiance,  sous peine de patauger.

C’est dans ce sens là que le Général de Gaulle  affirmait dans le discours de Bayeux du 16 juin 1946 que  « Tant il est vrai que les pouvoirs publics ne valent  en fait et en droit que s’ils reposent sur l’adhésion confiante du citoyen. En matière d’institutions bâtir sur  autre chose, ce serait bâtir sur du sable »; ajoutons du sable mouvant.

Voilà pourquoi nous insistons sur le fait que le Premier ministre doit être député ou sénateur avant d’être nommé, car il doit être au sein de la majorité parlementaire et non en dehors. Sinon le Constituant aurait eu le même raisonnement exprimé dans l’article 198 alinéa 3 de la Constitution suscitée, relatif à la désignation des ministres provinciaux, c’est logique, du fait que la science nous apprend, d’une part, de dire la vérité et, d’autre part, de ne jamais   tricher. Nous ne devons pas aller de violation en violation de la Constitution, d’autant plus que l’Etat de droit oblige.

Ce qu’il faut retenir dans le cas d’espèce

Tout ce qui précède nous conduit à la conclusion selon laquelle la nomination du Premier ministre par l’ordonnance n°19/056 du 20 mai 2019 n’avait pas respecté la procédure constitutionnelle, étant donné que l’intéressé était P.D.G. de la Société Nationale de Chemin de fer du Congo, et non député encore moins sénateur. Curieusement,  aucun expert ni spécialiste,  encore moins un analyste politique n’avait haussé le ton pour faire observer   cet état de chose. Aujourd’hui en revanche, des langues se délient au sujet de la désignation de l’informateur qui doit identifier une coalition dans un délai de 30 jours renouvelable une seule fois.

Avec quelle majorité ?

La question a son pesant d’or, en effet, depuis la chute du Bureau de la Chambre Basse présidée par l’honorable Jeanine MABUNDA, la majorité s’était disloquée, « elle a changé de camp » avait déclaré Ngoyi KASANJI, basculée à la suite d’une pétition. Une nouvelle majorité s’est  constituée dans le cadre de « l’Union Sacrée pour la Nation (USN)». Selon Giscard KUSEMA, Directeur Adjoint de la presse présidentielle, confirmait à la Radio Okapi  que « 309 députés  qui ont adhéré à l’Union Sacrée dont ceux du PPRD ».

C’est donc cette nouvelle majorité qui désignera le futur Premier ministre du nouveau Gouvernement.

Quelle est alors la situation du Premier ministre en fonction ?

 Il y a trois hypothèses : 1° Soit il démissionne ; 2°Soit une motion de censure sera déposée à l’Assemblée Nationale devant l’actuelle majorité afin d’examiner son cas ; 3° Soit enfin, le Président de la République usera de son pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 69 alinéa 3 de la Constitution pour le destituer.

L’enlisement de l’USN et pour quelles causes ?

D’une manière générale, quel que soit le cas de figure, l’Union Sacrée pour la Nation aura un morceau dur parce que rien, alors rien n’est encore gagné d’avance. N’étant pas prophète des malheurs, d’autres difficultés verront le jour. Il s’agit notamment de la gestion des ambitions des uns et des autres, car vu l’enthousiasme sinon la ruée du moins la précipitation avec laquelle ils avaient fait « la queue » au Palais de la Nation lors  des  concertations,   puis à la  demande d’adhésion formulée par l’Union Sacrée, puisque les chefs de files de certains partis politiques et de regroupements  de la société civile. Cela prouve  à suffisance que la répartition du « gâteau », des postes juteux réclamés dans leurs cahiers de charge,    posera un très sérieux problème à tous ces hommes  versatiles, jouisseurs, sans vision ni projet de Société pour la RDC ;  dans la mesure où nombreux sont ceux qui ont des agendas cachés, il y a sans doute  des  infiltrés ;  surtout que la plupart d’entre eux sont des candidats potentiels aux futures échéances électorales,  et cherchent de l’argent pour financer leur campagne. C’est pourquoi, les uns convoitent la Primature et les autres la Présidence des Chambres haute et basse du Parlement, sans oublier les ministères régaliens.

Conséquences d’autant plus que la population croupit

Cette gourmandise entraînera ipso facto l’implosion de la structure  en cas de refus par l’autorité de l’USN , ils claqueront la porte et l’Union Sacrée sera désacralisée par d’autres  vautours venus d’ailleurs à la recherche des denrées rares, ils risquent de faire imploser l’initiative,   tout en ignorant complètement la misère et  les souffrances du peuple rdcien, qui,  un jour pourra se prendre en charge du fait qu’il est tué et enterré dans des fausses communes, massacré, égorgé comme des moutons ;  les femmes violées au quotidien, notamment celles de l’Est, un peuple  affamé, chosifié voire même clochardisé.

Passer outre les recommandations de l’ONU

En revanche, accepter tout ce grand monde,  l’Union Sacrée pour la Nation, ne passe-t-elle pas outre la Résolution  du  Conseil de Sécurité de l’ONU prise le 20 mars 2003, laquelle préconisait pour la région des Grands Lacs Africains « La mise en place des Institutions crédibles pour la période de transition ne devrait pas s’appuyer sur des « voleurs » ni sur ceux qui ont été incriminés par les rapports de différentes commissions d’enquête de l’ONU ou par les organisations de défense des droits de l’homme, dans le pillage des ressources du Congo et la violation des droits humains »  (Cf. Rapport de Mapping).   

Un espace sans opposition politique est-ce possible ?

En créant l’Union Sacrée pour la Nation, veut-on par là instituer une structure où il n’y aura plus d’opposants en RDC, veut-on instaurer un parti unique (le MPR bis ?). Chose difficile et/ou impossible, car on ne peut plus revivre les expériences du passé, celles d’un parti ou d’une pensée unique, dans un pays où le pluralisme politique est garanti par la Constitution et les lois de la République, le pays doit rompre avec les méthodes du passé, celles qui frustrent.

Convocation d’un « forum républicain » solution idoine pour sauver le pays

Pourquoi ne pas convoquer un « Forum républicain » où tous les protagonistes rdciens se mettraient  pour la énième fois autour d’une table en vue d’examiner ensemble toutes les questions qui minent notre pays ; en proposant de façon consensuelle, des réformes susceptibles de mettre un terme notamment à la crise de légitimité longtemps décriée, puis,  promouvoir le bon fonctionnement des Institutions, engager  des discussions entre partie prenantes, sous les bons offices des responsables religieux rdciens, des Institutions régionales plus particulièrement la CIRLGL,  la SADC, la CEEAC, sans oublier l’Organisation des Nations Unies.

Les idées ne manquent pas à cet effet                                  

On peut noter qu’il y a un premier pas qui servirait de base, celui effectué dans ce sens par le Président de l’Engagement pour la Citoyenneté et le Développement (ECIDE) Martin FAYULU MADIDI, Coordonnateur en l’exercice de la plate forme politique LAMUKA. Ce dernier ne cesse de tendre la main à tous les patriotes de bonne volonté de se mettre autour d’une table afin d’examiner sa proposition de sortie de crise laquelle met l’accent sur des nombreuses réformes portant sur la CENI et la désignation de  ses dirigeants, la loi électorale, la Défense et la sécurité  afin d’éradiquer les foyers de  tentions notamment  à l’Est du pays, la Gouvernance susceptible de lutter contre la corruption, sans oublier la justice et les droits humains. La liste n’est pas exhaustive, étant donné que d’autres propositions seront les bienvenues pour enrichir les discussions dans l’intérêt de la Nation.  

La recherche de la concorde et du développement de la RDC.

L’objectif est de promouvoir le dialogue dans un esprit de compromis en accordant la primauté à l’intérêt général, renforcer l’Etat de droit par le respect de la Constitution et des différents textes de la République, les valeurs de la démocratie, la tolérance, les libertés publiques pour une RDC émergente et compétitive en ce début du 3ème millénaire.

Piste des solutions

Pour y arriver, nous devons impérativement effectuer toutes ces réformes car la stabilité politico-socioéconomique en dépend et  revêt une importance capitale, c’est pourquoi au plan macro économique il faut diversifier  notre système économique, ce dernier a besoin   de relancer l’agriculture, l’élevage, la pêche et l’artisanat, l’exploration du  secteur pétrolier, la dédollaristion de l’économie afin de stopper la dépréciation chronique  du franc congolais, la promotion des investissements productifs afin de créer des emplois et de lutter contre le chômage,  principalement  celui de jeunes qui sont à la recherche de leur gagne-pain  et l’amélioration du climat des  affaires, la relecture des textes de notre système fiscal pour attirer davantage  les investisseurs étrangers.   

Dr Mafelly  Mafelly Makambo, Professeur Ordinaire Constitutionnaliste

                                                                                                 

        

                                                                             

                                                                           

 

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