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SOCIETE

Droits des femmes et développement en Afrique : Regards croisés et perspectives pour la RDC

L’organisation de cette activité de réflexion rentre dans le cadre de la relance des séries de conférences suivant la vision du Professeur Ivon MINGASHANG, Directeur Général du Centre, et le besoin de faire entendre une voix discursive dans le tintamarre de réjouissances liées au mois dédié à la femme.

En effet, pour se distinguer des célébrations festives qui, par le passé, réduisaient la journée du 08 mars à des défilés en pagne suivis de cocktails arrosés, ce Centre de recherche a fait appel à trois intervenants d’horizons différents pour échanger autour de trois sujets complémentaires, en dehors d’un exposé introductif, à savoir : (1) Jacques EBWEME, Ph.D., Sociologue, qui a mis en perspective les droits des femmes et les objectifs de développement durable en contexte congolais ; (2) Solange KABEDI, M.Sc., Juriste, qui a peint le gouffre entre, d’une part, les textes juridiques internationaux et ceux en vigueur en RDC et, d’autre part, l’écart entre le prescrit et le vécu en matière de promotion des droits de la femme ; (3) Bobo B. KABUNGU, Ph.D., Economiste, qui s’est appesanti sur une analyse sexospécifique de l’impact du capital humain sur le niveau de vie en Afrique subsaharienne.

Dans son mot de bienvenue, le Professeur Ivon MINGASHANG s’est interrogé sur les facteurs de la domination masculine et a identifié, grâce à un recul philosophique et une observation continue, (i) la nature androcentrique de la société contemporaine et (ii) la portée de la violence exercée en matière de genre, de manière permanente et dissimulée. Il a attiré l’attention des participants sur la neutralité de l’androcentrisme vu comme un biais social qu’il importe de corriger pour parvenir à une égalité entre les femmes et les hommes. Dans ce cadre, trois conditionnements dangereux ont été épinglé : (a) la culpabilité originelle qui voudrait que la femme soit la source du mal à l’exemple de la guerre de Troie ou de la peine d’Adam et Eve ; (b) la femme vue comme objet de regards, dépossédée de son moi identitaire, projetée dans le regard des autres (c’est toujours la fille de tel, l’épouse de tel, etc.) ; (c) la femme considérée comme un objet de consommation, dans le sens où on l’« acquiert », autant qu’une voiture, un réfrigérateur, un fer à repasser. En fin de compte, elle se voit réifiée comme Simone de Beauvoir a su s’en plaindre. Cet exposé a suscité de vives discussions autour de trois questions fondamentales : (i) la dot à l’occasion du mariage (coutumier) comme mécanisme de perpétuation de la domination symbolique de l’homme sur la femme ; (ii) l’homme, chef de la femme dans les us religieux : norme objective ou conditionnement judéo-chrétienne ? ; (iii) la méconnaissance de la reconnaissance de la femme comme violence symbolique.

Pour sa part, le Professeur Jacques EBWEME a estimé que la question des droits des femmes n’est à entrevoir en dehors du système monde, un système comportant, d’un côté, des dominants travaillant pour le maintien du statuquo vis-à-vis des dominés et, de l’autre, des dominés s’efforçant de changer l’ordre des choses. D’après ce sociologue, la quête effrénée des objectifs de développement durable (ODD), du reste non adaptés aux réalités locales, présente un risque de reniement du progrès. Selon lui, il est possible, à partir du modèle de dissimulation des objectifs, de décrypter un piège pour la RDC dans la mesure où l’on veut s’approprier, sans réserve, les ODD 5 et 10 relatifs, respectivement, à l’égalité entre l’homme et la femme ainsi qu’à la réduction des inégalités.

Après ce positionnement épistémologique réfractaire des « modèles de sociétés » importés, une analyse qualitative est effectuée à partir des réponses à un questionnaire soumis à Kinshasa, grâce à un échantillonnage raisonné et en ayant pour soubassement théorique la lutte pour la survie politique. Il en ressort qu’actuellement, la femme (du moins la majorité des répondantes) est capable de participer et de contribuer au développement du pays, sans rejeter l’héritage culturel en matière de dot notamment.

En prenant la parole, Solange KABEDI, Cheffe de Travaux à la Faculté de Droit à l’Université de Kinshasa, a commencé par rappeler que les droits de la femme sont, avant tout, les « droits de l’homme ». En effet, en tant qu’être humain, la femme bénéficie, en principe, de tous les droits de l’homme. Malheureusement, ces droits sont teintés des colorations culturelles, les femmes étant différemment considérées selon les pays et les peuples. Les droits sont donc universels mais vécus de manière spécifique. Pour cette Avocate au Barreau de Kinshasa-Matete et Enseignante à l’Institut National du Travail Social, l’égalité des droits est une bataille dont l’arme principale est juridique. Ainsi, les femmes se battent, au niveau international, pour faire évoluer et adopter des textes prenant en compte leurs revendications. L’un des points culminants de la réflexion a consisté en un recensement des textes pertinents consacrant la promotion et la protection des droits des femmes au niveau mondial et en une évaluation du dispositif congolais sur ce champ. Il s’en est suivi des recommandations pour parvenir à « des standards » acceptables.

Quant à lui, Bobo B. KABUNGU, Chercheur Sénior au sein du Département de Recherche en Économie et Finance et Président du Conseil Permanent de l’ONG ICEBERG, s’est étendu sur la contribution de l’éducation et du travail des femmes et des hommes au niveau de vie au Sud du Sahara. Selon ce Professeur d’université, si la théorie de la croissance endogène accorde une place de choix au capital humain dans le processus de production, les articles scientifiques proposant des analyses sexospécifiques ne sont pas les plus nombreux, principalement en ce qui concerne l’Afrique subsaharienne. Son étude voudrait contribuer à combler ce gap.

Grâce à un examen à la fois corrélationnel et causal au sens de Granger, ce postdoctorant  parvient à démontrer qu’au-delà des avancées enregistrées entre 1985 et 2020, en matière d’alphabétisation et de réduction du chômage, les écarts entre les hommes et les femmes, en termes d’opportunités d’instruction et d’emploi, persistent. Pourtant, il est prouvé que le chômage des femmes exerce un effet négatif et significatif sur le niveau de vie mesuré par le produit intérieur par tête et que le taux d’alphabétisation des femmes adultes a également un impact positif sur le PIB par tête. D’où la nécessité de s’approprier les recommandations de ONU Femmes pour plus de parité.

Pour rappel, le mois de mars 2021 a consacré, au niveau national, une période de réflexion sur le leadership féminin d’excellence, société égalitaire et numérique à l’ère de la Covid-19. L’organisation de cette matinée scientifique dont l’appui du mouvement Femmes de Valeur a été vivement salué aura contribué à la promotion du genre, a conclu le Professeur Piaget MPOTO, modérateur de l’activité. C’est notamment la lutte que mène Pascaline NTABUGI, M.Sc, Economiste et Initiatrice dudit mouvement.

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