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De la programmation de l’action gouvernementale au financement innovant du développement de la RDC

Le Gouvernement de la République Démocratique du Congo s’est récemment doté d’un Programme d’actions 2021-2023 avec pour but de faire du pays un Etat fort, prospère et solidaire. Sans revenir sur le tableau peu reluisant de la situation économique et sociale actuelle de la RDC qui projette, grâce à une vision réformatrice, d’améliorer durablement les conditions de vie de sa population actuelle et future, il sied de souligner que le Premier Ministre a souligné, dans son adresse à l’Assemblée Nationale, que le pays faisait face à des défis existentiels colossaux qui placent les gouvernants devant l’obligation de lever des options audacieuses et murement réfléchies. Quinze (15) piliers ont ainsi été présentés et regroupés dans quatre secteurs majeurs que sont (i) la Politique, la Justice, l’Administration publique, la Défense et la sécurité ; (ii) l’Economie et les Finances ; (iii) le Secteur social, avec des actions dont la réalisation requiert une enveloppe globale de 36,0 milliards de USD.

S’il est vrai que mobiliser 12,0 milliards de USD chaque année n’est pas chose aisée dès lors que le contexte international duquel dépend en grande partie le comportement de l’économie congolaise (prix des matières premières notamment), il ne demeure pas moins vrai que l’ambition reste du ressort du gouvernant. Encore faudrait-il que le déficit de 14,0 milliards de USD dégagé dans le Cadre Budgétaire à Moyen Terme (CBMT) par la différence entre le coût total du Programme et le financement prévu de 22,0 milliards de USD, pour la période considérée, soit financé.

C’est pour contribuer à la réflexion sur le financement du programme d’actions du Gouvernement que le Professeur Bobo B. KABUNGU, Chercheur Sénior, a rédigé cette tribune. Elle est axée autour des limites du financement classique et des perspectives qu’offre un financement spécifique et innovant.

1. Du financement classique et de ses limites

Sur le plan macroéconomique, les mécanismes de financement classique concernent fondamentalement (i) le budget de l’Etat ; (ii) le secteur financier ; (iii) les organismes extérieurs ; (iv) les investissements directs étrangers.

A travers le budget de l’Etat, une part importante des ressources mobilisées peut être allouée à la couverture des dépenses d’investissement en vue du financement des infrastructures et des secteurs productifs. Le secteur financier permet, pour sa part, de financer des projets spécifiques par le recours au crédit bancaire et à la levée des fonds sur les marchés financiers. Un système bancaire efficient facilite l’intermédiation financière et permet d’assurer une affectation optimale des ressources financières dans le secteur réel.

Pour leur part, des organismes extérieurs spécifiques, à l’instar des institutions financières internationales – Banque Mondiale, Banque Africaine de Développement (BAD)… – apportent leur soutien au développement du pays. Un des guichets les plus en vue est celui du secteur privé de la BAD qui finance un grand nombre de projets ciblant les infrastructures. Par ailleurs, un cadre économico-juridique favorable à l’amélioration du climat des affaires peut permettre d’attirer les investissements dans des secteurs prioritaires bien identifiés.

Ce type de financement est souvent buté à un carré de limites qui le rend difficilement efficace en Afrique en général et en RDC en particulier. Il s’agit :

– de la faiblesse de la pression fiscale, en raison, principalement, de la part du secteur informel, de l’existence des économies souterraines et des tares au niveau de l’appareil administratif qui entretiennent la fraude et l’évasion fiscales ainsi que la sous-facturation des échanges commerciaux suite à la difficulté d’évaluer certains services ou produits tels que la valeur réelle des concessions minières cédées, le contrat d’exploitation de certains espaces forestiers, etc. ;

– de l’inexistence des banques spécialisées dans les financements spécifiques (crédit agricole, crédit habitat, crédit aux PME/PMI, etc.) ; – de la faiblesse du niveau de bancarisation, quoi qu’en progression en termes de nombre de comptes ouverts, qui induit une mobilisation insuffisante de l’épargne et donc un bas niveau de financement de l’économie ;

– du bas niveau de l’éducation financière et de la difficulté de présenter des dossiers bancables pouvant soutenir une demande de crédit.

Face aux limites du financement classique en Afrique, il est nécessaire de développer d’autres types de financements pour la transformation et l’émergence du Continent. Il faudrait innover.

2. Des financements spécifiques innovants

Les financements innovants du développement sont des mécanismes prévisibles, stables et complémentaires à l’aide publique au développement (volatiles et imprévisibles), destinés à lever des fonds pour le développement. Les instruments concernés permettent, tant soit peu, de combler le gap de financement face à l’importance des défis à relever par les pays et à l’insuffisance de l’appui traditionnel reçu des bailleurs de fonds.

2.1. Du financement de la santé

Leading Group (2012) évoque, à ce jour, trois mécanismes de financement innovant dont les plus importants existent depuis 2006, quatre ans après l’introduction de la notion dans le débat international, à l’occasion du Sommet de Monterry tenu en 2002. Le premier (UNITAID) est financé en grande partie à partir d’une taxe d’un très faible montant sur les billets d’avion et constitue une centrale d’achat de médicaments visant à rendre plus accessibles les traitements contre le VIH-SIDA, le paludisme et la tuberculose. Le deuxième (IFFIM) est un fonds constitué à partir d’emprunts sur les marchés financiers grâce à des garanties étatiques. Les sommes récoltées sont destinées à la mise en place des programmes de vaccination les plus urgents dans les pays les plus pauvres.

Ces deux initiatives sont encourageantes étant donné les problèmes que rencontre la population congolaise dans le secteur de la santé. En effet, le déficit en infrastructures et le manque de prise en charge des patients, pour ne citer que ces deux éléments, ne sont pas de nature à permettre aux habitants de la RDC, en particulier ceux des entités rurales, d’accéder à des soins de santé de qualité. Les possibilités offertes par ces mécanismes tombent donc à point nommé. Cependant, les problèmes étant nombreux et dépassant le cadre de la santé, il est nécessaire d’explorer également d’autres voies.

2.2. Des obligations spécifiques

La léthargie observée dans le développement des marchés financiers structurés et dynamiques constitue une pesanteur au financement du développement de la RDC. Et pourtant, considérant le fait que le crédit bancaire soit globalement orienté vers le court terme et que son volume demeure faible, les marchés financiers intérieurs constitueraient un palliatif pour le financement de l’émergence (BCC, 2013). D’où, la nécessité de viser deux sortes de titres : les obligations des infrastructures et les obligations de la diaspora.

Les obligations des infrastructures sont celles qui sont émises pour financer des projets spécifiques d’infrastructures. Elles supposent une grande transparence dans les études de faisabilité. Elles permettraient à la RDC de capter une part des 100,0 billions de USD que les investisseurs institutionnels et les banques commerciales gèrent au niveau mondial (BAD, 2018). Cependant, il importe de souligner, avec Quinet (2012, p. 204), que « les infrastructures constituent des actifs dont la durée de vie se compte en décennies, voire pour certains d’entre eux (ports, réservoirs, autoroutes…) en siècles », augmentant les risques à prendre par l’investisseur, dès la phase de développement, surtout lorsque la qualité de la signature du secteur public fait défaut.

Quant à elles, les obligations de la diaspora cibleraient prioritairement la population congolaise vivant à l’étranger, avec la possibilité de l’étendre à la population africaine. La Banque Mondiale considère que cela est une alternative importante à d’autres formes de financement. Les obligations de la diaspora sont importantes au regard de ce que (i) plus de 7,0 millions de congolais vivraient à l’étranger tout en maintenant des liens solides avec leur patrie (Kazumba, 2015); (ii) leur niveau d’épargne dans les pays d’accueil serait significatif (Kabungu et al. 2020); (iii) les flux de fonds des congolais de l’étranger vers la RDC ont largement augmenté ces dernières années.

2.3. Des sources diverses

Au-delà de ce qui précède, des réflexions et des échanges avec plusieurs économistes ont mis en évidence quelques pistes :

-l’amélioration des produits des ressources naturelles en renforçant les capacités de négociation du Gouvernement pour parvenir à des contrats bien ficelés, en vue du financement de certains projets d’infrastructures. La cession de ces ressources devrait impérativement être assortie de clauses spécifiant la nécessité du développement du milieu local et être précédée des études contrevérifiées sur leur valeur actuelle et à venir ; – l’implication dans la mise en place d’une taxe carbone mondiale qui dégagerait annuellement des ressources dont la RDC ainsi que d’autres pays à faible revenu ont extrêmement besoin pour financer leur processus de développement ;

 – l’utilisation rationnelle d’une partie des réserves de change généralement placées à l’étranger à des conditions financières contraignantes, en vue de consolider les investissements structurants, notamment dans le secteur des infrastructures (BCC, 2013) ;

– la taxation des produits suivant le degré de leur nocivité à la santé (sodas, pizzas et viandes industrielles, pâtisseries, boissons alcoolisées, cigarettes, cigares, cosmétiques dangereux) et orienter les fonds vers la recherche scientifique sans laquelle aucun pays ne s’est développé.

Références

– BAD (2018). Financement de l’infrastructure en Afrique : Nouvelles stratégies, nouveaux mécanismes et instruments. Chapitre 4 des Perspectives économiques en Afrique.

– BCC (2013). Financement du processus de transformation et d’émergence en Afrique. Présentation de Monsieur le Gouverneur Deogratias MUTOMBO MWANA NYEMBO à l’occasion de la 1ère conférence panafricaine sur la transformation et l’émergence du Continent. Kinshasa.

– Leading Group (2012). Questions Réponses. Financements innovants. www.leadinggroup.org.

– Kabungu, B. B., Luvezo, Y. et Mfumukanda, S. (2020). Transferts de fonds de la diaspora et activité économique en Afrique subsaharienne. Annales de l’Unigom. 10(1). 37-58.

– Kazumba, C. (2015). La diaspora congolaise génère la moitié du PIB du pays mais reste ignorée. www.financialafrik.com.

– Quinet, A. (2012). Le financement des infrastructures. Revue d’économie financière. N°108 : 201-220.

L’auteur

Enseignant-chercheur, Economiste et Spécialiste certifié en Evaluation du développement (ENAP/Québec, UGA/Grenoble, BIU/Madrid), Bobo B. KABUNGU est Professeur d’université, Chef de Département de Recherche en Economie et Finances au Centre de Recherche en Sciences Humaines (CRESH). Il assume présentement la Présidence du Conseil Permanent de l’ONG dénommée Initiative Congolaise pour l’Evaluation, le Bien-Etre, la Recherche et le Genre (ICEBERG). Il remercie l’Economiste Alain MALATA KAFUNDA avec qui il a régulièrement des échanges sur des questions transversales de développement.

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