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Les partenariats PUBLIC-PRIVÉ (PPP) en République Démocratique du Congo : Opportunité Ou Guet-apens fiscal pluri-générationnel ?

INTRODUCTION

Faisant face à une demande croissante d’infrastructures et des services publics alors que leurs budgets s’avèrent de plus en plus insuffisants pour y répondre, les gouvernements du monde font recourent aux investisseurs et prêteurs privés en vue de : financer, construire, exploiter, entretenir, réhabiliter, étendre et moderniser ces derniers; en optant de mettre en œuvre ces projets en mode de Partenariats Public-Privé (PPP) au lieu des marchés publics traditionnels.

Cependant, le plus souvent, ces gouvernements choisissent le mode PPP sans pouvoir répondre aux quatre questions fondamentales suivantes : Qu’est-ce qu’un PPP ?, Pourquoi y recourir ?, Quel environnement ces projets et contrats exigent-ils pour leur mise en œuvre ?, et Comment développer et surtout mettre en œuvre un projet ou mieux un programme PPP ?. La RDC ne fait pas exception.

Tout en appréciant l’urgence qu’éprouve la RDC à obtenir des investissements privés pour financer et éventuellement réduire le déficit des infrastructures publiques, on constate toutefois, que la majorité des autorités publiques (nationales et provinciales) sont engagées dans une course effrénée à la recherche des dits investissements, et de surcroît à conclure divers accords qu’elles appellent ? PPP “, sans être en mesure de répondre aux quatre questions fondamentales précitées sur les PPPs.

Ce Billet Technique 1, vise à éclairer les autorités publiques à trouver des réponses urgentes aux questions fondamentales posées  sur les PPPs. Objectif : Recadrer le secteur des PPPs dont l’état des lieux demeure très préoccupant, comme décrit ci-dessous dans ce billet technique.

En effet, seules des réponses viables, fiables et opportunes à ces questions  peuvent déterminer à terme, si la RDC est capable de saisir des multiples opportunités offertes par les contrats PPP ou bien de tomber dans un guet-apens fiscal, pluri-générationnel.

Bien entendu, il reste utile de souligner que les PPPs sont un domaine nouveau pour la plupart des pays en développement, comme la RDC. Par conséquent, au stade initial de leur processus des PPPs, ces pays sont confrontés à un manque d’expertise dans ce domaine.

Dans ces conditions, il est souvent fréquent que les autorités publiques ne soient pas en mesure d’apprécier à juste titre, la complexité technique et la forte spécialisation qu’impliquent les PPPs; sans parler de l’exigence pour leurs animateurs d’avoir l’expertise nécessaire devant leur permettre de saisir les contours des dits contrats avant leur signature.

Par ailleurs, la complexité technique et la spécialisation de ces contrats les rendent très subtils et plus susceptibles d’imposer de lourdes obligations fiscales (directes et hors bilan) à l’Etat, surtout si ces contrats avaient été conclus par des signataires dépourvus des compétences nécessaires requises.

À l’heure actuelle, la situation des PPP en RDC est telle que : “ – Les PPP sont un domaine nouveau dans le pays, – le pays manque d’expertise dans ce domaine, d’autant plus que les PPP n’en sont qu’à leurs débuts, – mais, les autorités s’emploient à conclure des contrats qu’elles appellent “ PPP ”, sans toutefois avoir l’expertise nécessaire dans ce domaine, ce qui est un paradoxe.

Par conséquent, ce paradoxe crée un état des lieux des PPPs qui est source des profondes préoccupations dont les impacts à la foi sur le développement futur de nos infrastructures et sur la sécurité fiscale du pays à moyen et long terme, sont à redouter.

Dans la pratique internationale, avant de s’engager dans les PPPs, il existe des préalables, des principes et des méthodes spécifiques qui doivent être observés en vertu des volumes importants et des longues durées d’investissements (privés) qui caractérisent ces contrats.

Passer outre cette pratique internationale signifie tout simplement : Compromettre, dans le temps, la réussite de l’opérationnalisation des PPPs.

De ce qui précède, nous dressons ci-dessous un aperçu très synoptique de l’état des lieux des PPPs en RDC, assorti des préoccupations et leurs conséquences; et recommandons des mesures correctives nécessaires pour s’assurer que le pays est bien placé pour capitaliser sur les opportunités offertes par les contrats de Partenariats Public-Privé (PPPs).

L’ÉTAT DES LIEUX DES PPPs EN RDC : UN APERÇU SYNOPTIQUE 

Un regard éclairé sur l’environnement et les conditions dans lesquelles les accords de partenariats public-privé (PPP) sont entrain d’être conclus en RDC,  dénoterait :

–        d’une part: une ruée incontrôlée des acteurs à exécuter leurs projets en PPPs

 Cependant, les PPPs sont un domaine nouveau dans le pays et, pour ce faire, nécessitent l’expertise appropriée afin de réussir leur exécution.

–        et de l’autre   : un degré d’improvisation sans précédent 

Ce qui indique simplement que ces acteurs sont inexpérimentés dans ce domaine.

Résultat : Toutes les normes et pratiques internationales en matière des PPPs sont bafouées.

Plus précisément, il s’agit du non-respect systématique des prérequis, principes et modalités propres aux PPPs, lesquels sous-tendent pourtant la réussite de ces contrats.

En effet, l’état des lieux des PPP en RDC se caractérise par les éléments suivants :

(1)     Manque des préalables requis avant de lancer les PPPS : Absence du Cadre des PPPs

 (2)    Violation systématique des principes clé pour la mise en œuvre des projets en PPP

 (3)    Absence de systèmes de gestion et de suivi des projets et de l’administration desdits contrats.

Ces éléments sont marqués par leurs indicateurs respectifs qui révèlent des préoccupations très profondes auxquelles des réponses doivent être trouvées immédiatement.

A noter que compte tenu de la position de la RDC sur le cycle de vie des projets et contrats PPP, le pays est encore au stade embryonnaire du processus des PPPs. C’est pourquoi il est impératif de s’assurer qu’au départ, ce processus est correctement lancé selon les normes et pratiques internationales en la matière.

Raison pour laquelle, dans ce Billet Technique 1, nous nous intéressons aux préoccupations relatives au 1er élément caractéristique de l’état des lieux des PPP en RDC, à savoir : Le manque des préalables requis avant de lancer les PPPs, notamment l’ABSENCE DU CADRE DES PPPs.

Et, étant donne sa criticité sur la suite du processus des PPPs : En l’absence d’un cadre des PPPs comme préalable, il n’y a pas lieu de parler des PPPs.

Absence du Cadre des PPPs comme condition préalable

Cette absence du Cadre des PPPs met en évidence le vice de procédure qui a présidé au lancement de ces derniers en RDC.

En lieu et place du Cadre des PPPs comme préalable, la RDC a choisit de produire tout simplement une loi des PPPs. Il s’agit de la loi Nº 18/016 du 18 Juillet 2018, relative aux PPPs.

A noter qu’une loi PPP ne constitue que le 3ème pilier d’un Cadre des PPPs. Elle est dérivée des deux autres piliers que sont : la Politique Nationale et le Cadre Institutionnel. Et dans le cas de la RDC, ces deux autres piliers font également défaut.

Ainsi, en l’absence de ces 3 piliers, pris ensemble : Politique Nationale, Cadre Institutionnel et Loi PPP : Il n’y a donc pas de Cadre PPP en RDC, dont les conséquences pourraient être très fâcheuses pour la République.

Conséquences de l’Absence du Cadre des PPPs comme préalable

Vu l’absence du Cadre des PPPs  comme préalable, le processus des Partenariats Public-Privé  se retrouve, à ce jour, dans un fouillis profond qui caractérise tant l’état des lieux que le processus des PPPs lui-même, dans le pays.

Ce fouillis est illustré en l’occurrence par le récent Avis du Conseil d’État relatif à la requête enrôlée sous RITE 006, du 18 Octobre 2021, relative à l’interprétation de la loi nº 18/016 du 09 Juillet 2018 relative au Partenariat Public-Privé.

Au  1er paragraphe de cet avis, on peut lire : “ Par sa requête déposée au greffe du Conseil d’État le 29 Avril 2019 et enrôlée sous RITE 006, le ministre d’État, ministre du Budget sollicite l’interprétation de la loi nº 18/016 du 18 Juillet 2018 relative au partenariat public-privé , à propos des organes compétents devant exercer les fonctions de régulation et de contrôle à priori, suite aux contradictions relevées dans la dite loi ”…

En réalité, cet avis du Conseil d’Etat n’est que  » l’arbre qui cache la forêt « . Il dénote, d’une manière générale, les profondes grandes lacunes de ladite loi, principalement le fait qu’elle a été élaborée en l’absence de la Politique Nationale et du Cadre Institutionnel des PPPs.

Et, de manière particulière, cet avis met plus spécifiquement en évidence le manque de l’étude du cadre institutionnel qui devait elle, en amont, étudier et identifier les acteurs, définir leurs rôles et responsabilités, et leur attribuer des fonctions à exercer dans le processus des PPPs.

Ainsi, en l’absence de ces deux piliers du Cadre des PPPs, à savoir : La Politique Nationale et le Cadre Institutionnel, il est techniquement impraticable d’élaborer une loi des PPPs qui soit solide et viable.

Raison pour laquelle la loi Nº 18/016 du 18 juillet 2018 relative aux partenariats public-privé (PPP) en RDC accuse des profondes insuffisances. Elle est entachée des incongruités, des déficiences techniques et est de surcroît dénudée de toute portée stratégique au regard des enjeux et des besoins infrastructurels du pays.

Pour ce faire, cette loi doit être corrigée avant qu’elle ne crée davantage des conflits lors de la mise en œuvre future des projets et contrats PPPs. Elle constitue, en effet, un bastion et bien plus une source majeure de conflits en devenir pour la suite du processus des PPPs.

Ces conflits en devenir sont de quatre ordres, notamment,  entre :

(i)      les organes/acteurs (comme le cas de l’Avis du Conseil d’Etat, relevé plus haut),

(ii)     les organes et les autorités contractantes (au niveau national et provincial),

(iii)    les autorités contractantes elles-mêmes surtout dans un contexte décentralisé, plus spécifiquement en rapport aux grands projets d’infrastructures transprovinciales,

(iv)    les organes et les autorités contractantes d’une part et de l’autre, les “ investisseurs privés”.

Les  conflits en devenir, d’ordres (i), (ii) et (iii) sont de nature endogène au cadre institutionnel. S’ils sont bien gérés, ils peuvent avoir un faible impact sur les acteurs externes au dit cadre. Dans le cas contraire, ils serviront à renvoyer un signal négatif, repoussant les ”investisseurs privés“ que nous sommes pourtant entrain de rechercher à bâton rompu.

Dans les cas deux, l’avènement des conflits endogènes trahira simplement le manque de viabilité de l’environnement dans lequel la RDC cherche à inviter des “investisseurs privés” à placer des millions/milliards de dollars pour financer nos infrastructures, et cela à long-terme.

Quand aux conflits en devenir d’ordre (iv), eux sont de nature exogène. Comparés aux conflits endogènes, ils ont un impact beaucoup plus grand sur les acteurs externes au cadre institutionnel. Ils sont le plus à craindre vu leur propension à créer une casque de conflits et risques, surtout lorsqu’ ils sont mal gérés.

D’abord ils vont se manifester sous forme de conflits opérationnels, puis se muer en conflits financiers avant de devenir des conflits juridiques, alors très susceptible de se transformer en des litiges juridiques, entrainant dans la plupart des cas, la résiliation anticipée du contrat.

Une fois le contrat résilié de manière anticipée, et si ce litige juridique n’est pas résolu à l’amiable (cas souvent rare), les conflits d’ordre (iv) sont dans la majorité des cas résolus dans des tribunaux arbitraux internationaux; où, les pays en développement, souvent non-outillés pour défendre efficacement leurs cas – en raison de la complexité technique et de la spécialisation de ces contrats); écopent des pénalités de l’ordre des millions/milliards de dollars américains pour indemniser leurs partenaires privés. (Plusieurs cas existent à cet effet).

Sous réserve des normes et pratiques comptables applicables au traitement des actifs et des passifs relatifs aux PPPs, ceux-ci devraient être reflétés dans le bilan des comptes publics. Par conséquent, les passifs aussi bien directs qu’implicites/hors bilan associés aux PPPs devraient être inclus dans le plan de gestion de la dette publique. 

Si les passifs directs sont prévisibles, les passifs hors bilan ne le sont pas. Ils sont souvent constitués notamment des pénalités infligées à l’État par des tribunaux arbitraux internationaux en guise d’indemnisation des ” partenaires privés “, au titre de résolution des conflits exogènes (conflits d’ordre (iv), évoqués précédemment).

D’une manière générale, les engagements hors bilan tels que l’indemnisation des partenaires privés par l’Etat en cas de rupture anticipée des contrats PPP, sont dus à : l’incapacité et encore plus l’inexpérience des acteurs publics à gérer ces contrats et leurs litiges complexes et spécialisés, face à des partenaires privés hautement outillés.

Souvent, les montants de ces indemnisations se chiffrent en centaines de millions, voire en milliards de dollars américains, et ont un impact dévastateur sur la dette publique et le déficit budgétaire. Une fois imposées, elles sont susceptibles d’augmenter considérablement ces métriques fiscales.

Si en outre, ces pays étaient en programme d’appui budgétaire avec des bailleurs de fonds, comme le Fonds Monétaire International (FMI) ; leur situation fiscale deviendrait encore plus intenable car, tenus à respecter, en même temps, les valeurs de référence imposées à la dette publique et au déficit fiscal.  Et que, à terme, tout dépassement des plafonds imposés par ce bailleur à ces valeurs de référence compromettrait le programme au risque de rupture de l’appui budgétaire convenu avec ce dernier.

L’effet combiné des engagements hors bilan liés aux PPPs et d’une éventuelle rupture de tout appui budgétaire des bailleurs de fonds constitue un “guet-apens fiscal ” dont des pays comme la RDC auront, pendant plusieurs générations, d’énormes difficultés à s’en sortir, compte tenu de leur espace budgétaire qui est très restreint au départ.

Afin d’éviter le scenario décrit dans les lignes précédentes, l’expérience internationale indique que les pays qui ont suivi les normes et pratiques internationales en matière des PPPs, en particulier la MISE EN PLACE DU CADRE DES PPPs comme Préalable, ont réussit à piloter leurs PPPs avec grand succès, tirant ainsi profit de tous les avantages possibles que ces contrats peuvent offrir.

Par contre, ceux qui ont brulé des étapes en lançant leurs PPPs de manière cavalière, comme cela est le cas en RDC, ont rencontré d’énormes difficultés. Bon nombre d’entre eux se sont retrouvés notamment soit :

–   sous menace de la saisie des actifs du projet/des projets par les investisseurs.

–        se voir imposer par des tribunaux arbitraux internationaux des montants très élevés des indemnisations des partenaires privés pour résiliation anticipée des contrats PPPs.

–        avec comme corolaire le dépassement des plafonds des valeurs de référence du déficit et de la dette publics relatifs au PIB, imposées par les bailleurs, avec le risque de rupture d’appui budgétaire (Si en Programme avec le FMI).

Au regard de l’état des lieux des PPPs et de leur environnement qui restent caractérisés à ce jour par la loi Nº 18/016 du 18 Juillet 2018, la RDC reste totalement exposée à quelques unes ou sinon à toutes les difficultés énoncées ci-dessus.

Par conséquent, il est inévitable que les Partenariats Public-Privé (PPPs), tels qu’ils sont lancés, constituent en effet un guet-apens fiscal pluri générationnel pour la RDC. A moins que cet état des choses soit corrigé et au plus vite.

En effet, il n’est pas encore trop tard pour corriger les choses,  car le processus des PPPs n’étant encore qu’à son stade embryonnaire.

Ce qui veut dire que la RDC dispose encore, pour le moment, d’une petite fenêtre de manœuvre devant lui permettre de remettre sur rails le processus des PPPs avant que celui-ci ne soit totalement déraillé et voir irrécupérable.

C’est pourquoi, il relève donc de l’autorité de l’Etat Congolais à prendre des mesures requises en vue de rectifier ce processus pendant qu’il est encore temps.

Quelles Mesures l’Etat doit-il prendre pour Rectifier le Processus des PPPs en RDC ?

Ces mesures portent sur la Mise en Place du Cadre des PPPs comme préalable au processus des PPPs. De cette façon, donner des réponses aux préoccupations soulevées par leur Etat des lieux.

Plus spécifiquement ces mesures visent à corriger le vice de procédure ayant marqué le lancement des PPPs en RDC. 

Objectif : Permettre à piloter le processus des PPPs d’après les normes et pratiques internationales, afin de positionner le pays à capitaliser sur les opportunités offertes par ces contrats.

 Cependant, Il reste important de souligner que, dans la mise place de ce Cadre des PPPs, l’Etat Congolais doit s’assurer que les animateurs de ce processus disposent :

(a)     de l’expertise requise dans ce domaine :

(Les PPPs étant un domaine techniquement complexe et hautement spécialisé : Il faut disposer de l’expertise requise pour son pilotage).

(b)     et de l’expérience nécessaire :

(Les PPPs étant un domaine nouveau en RDC : l’expérience devra, à ce stade initial, habiliter les acteurs à piloter ce processus avec doigté et éventuellement aboutir à mettre en œuvre des contrats PPP gagnant-gagnant pour le pays).

Et, si les animateurs ne peuvent pas remplir les exigences indiquées aux point (a) et (b) ci-dessus, alors l’Etat doit considérer en priorité :

 

  1. La formation compréhensive/complète des potentiels animateurs en vue de développer leurs compétences techniques dans le domaine des PPPs.
  2. Et, ensuite, appuyer ces derniers (potentiels animateurs formés) en faisant recours à une Assistance Technique qui soit authentique.

Faute de ces mesures et exigences relatives à la mise en place du Cadre des PPPs, les Partenariats Public-Privé (PPPs) ne constitueront tout simplement qu’un guet-apens fiscal pluri-générationnel au lieu d’être une opportunité de développement infrastructurel pour la RDC.

 

Fait à Londres, Royaume Uni., le 10 Décembre 2021.

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