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INTERVIEW

1ère personnalité noire élue rectrice de l’université d’Edimbourg, Debora Kayembe : « C’est un gros fardeau que je porte »

Qui est Debora Kayembe ?

Je suis avocate, spécialisée dans les droits de l’Homme, et militante politique. Il y ‘a un an, j’ai été élue rectrice de l’Université d’Edimbourg. Ici en Écosse, pendant 18 ans, mon travail était axé sur la défense des droits de l’Homme, la lutte contre le racisme et la discrimination, ainsi que dans la traduction et l’ interprétation. 

Comment êtes-vous arrivée en Écosse ?

Quand j’ai quitté la RDC, en 2004, j’ai atterri à Londres en Angleterre. J’ai introduit une demande d’asile auprès de l’Office Anglais de Protection des Réfugiés et Apatrides. Ledit établissement m’envoie dans le nord de l’Angleterre. Deux ans après, j’obtiens le statut de résident permanent. J’ai ainsi  décidé de continuer à faire mon travail d’avocat, métier que j’exerçais en RDC, membre en règle du barreau congolais. Malheureusement, mon dossier n’a pas été accepté au barreau anglais, mon diplôme n’étant pas reconnu. Renseignements pris, mes titres de compétences académiques seraient valables en Écosse. Voilà comment  je suis arrivée ici, en Écosse, à la recherche d’une vie meilleure.

Rectrice de l’Université d’Edimbourg, en Écosse. Que représente cette désignation pour vous ?

C’est une grande satisfaction, car ma désignation a engendré un profond changement au sein de l’Université d’Edimbourg. Depuis 1858 (date à laquelle le poste de recteur a été créé, ndlr), 53 recteurs se sont succédés tous blancs et seulement deux femmes : Muriel Gray et Ann Henderson à qui j’ai succédé comme rectrice. Et je suis la première femme noire en Écosse à occuper un tel poste, une révolution pour cette prestigieuse université fondée au XVème siècle. Mon combat contre le racisme et la discrimination a payé. Aujourd’hui encore, en plein XXIe siècle, l’homme noir est considéré inférieur à l’homme blanc. Le racisme et la discrimination, nous les vivons au quotidien. Mon élection est un pas géant vers une reconnaissance de l’égalité des races applicable dans tous les domaines de vie sociale, et donc notamment à l’emploi. La prétendue « race supérieure », que d’aucuns défendent avec une fermeté opiniâtre, est un mensonge. Cette affirmation fausse énoncée de manière volontaire, pour cacher la vérité, fait très mal. Mais comme l’avait dit le pasteur baptiste afro-américain, Martin Luther King, « aucun mensonge ne vit éternellement ». Nous y arriverons. Ça, c’est  mon combat, un engagement auquel je ne peux me soustraire et qui a beaucoup joué en ma faveur, pendant le processus électoral. Personne n’a osé me faire face à une personnalité noire, en l’occurrence, une femme que je suis. C’est extraordinaire !

Depuis le début de votre mandat en février 2021, qu’avez-vous réalisé au sein de cette institution ?

Lorsque je suis arrivée à l’Université d’Edimbourg, deux problèmes essentiels ont attiré mon attention. Le premier est le manque de respect entre nous, c’est-à-dire le personnel, les étudiants et nous qui sommes les leaders de l’Université. Le deuxième est le comportement discriminatoire. À titre d’illustration, des propos inadmissibles étaient tenus par certains professeurs à l’égard des homosexuels. Cette situation mettait notamment très mal à l’aise bon nombre  d’étudiants. Ils désertaient les salles de cours pour s’isoler dans leurs chambres et suivre les cours en ligne. Voire, la femme était considérée comme ne valant rien. Ces comportements asociaux étaient devenus une habitude. J’y ai mis un terme. Maintenant, ça a changé ! On ne créé pas une société dans l’irrespect des uns envers les autres. Il faut plutôt créer l’harmonie et installer la joie de vivre au sein de l’Université. Ma recommandation a été suivie d’effets puisque les choses ont changé d’une façon radicale grâce aux efforts de tous. Ça, c’est ma plus grande réalisation et je m’en réjouis.  

Rectrice de l’Université d’Edimbourg, une Université écossaise, loin de la terre de vos aïeux. Une fierté pour la Congolaise que vous êtes ?

Bien sûr, c’est une fierté (Rires). Mais aussi une grande responsabilité, car je n’ai pas le droit d’échouer dans ce rôle. Je sais qu’il y ‘a des gens, au sein de l’Université, qui souhaitent mon échec, pour que l’on ne puisse plus jamais choisir une personne de peau noire à ce poste. C’est un gros fardeau que je porte. Je suis dans l’obligation de réussir et aussi préparer le chemin pour les autres.

Quel  message avez-vous à lancer à l’endroit des autorités congolaises qui investissent peu dans l’éducation et la formation ?

Que les autorités de la RDC prennent les problèmes du futur à bras le corps. Cela passe par l’éducation et la formation ; qu’ils manifestent de l’intérêt pour ces questions ; qu’ils sachent  que l’avenir d’un pays se prépare à l’école. Et là, il faut mettre le paquet. Le manque de moyens est criant. La pénurie de manuels scolaires touche la totalité des niveaux, supérieur compris. Comment imaginer que les programmes d’enseignement ne sont jamais renouvelés ? À l’Université, par exemple, le même syllabus de cours est utilisé pendant 20 ou 30 ans… Il faut vite combler ces lacunes. Mon souhait est que le Congo figure parmi les premiers pays francophones à entretenir un partenariat  avec l’Université d’Edimbourg. Mais, je crains qu’il ne s’agisse d’un rêve que je ne saurai réaliser dans ces trois premières années. 

Et à la jeunesse estudiantine congolaise, que leur diriez-vous ?  

Les étudiants Congolais doivent arrêter de penser que la vie est facile, et qu’elle se donne gratuitement. Ils doivent donc abandonner cette passivité qui les caractérise. Pour réussir dans ses études, il faut prendre conscience de son statut et travailler dur. Les étudiants Congolais ne lisent pas, leur niveau est très faible, la corruption bat son plein, les programmes sont dépassés et inadaptés… Comment imaginer qu’un étudiant, finaliste en médecine, n’ait jamais fait un stage dans un hôpital ?  C’est ainsi que les hôpitaux sont devenus des mouroirs. Je reconnais que la situation en RDC est difficile, et étudier n’est toujours pas facile. Lorsque la vie vous gêne, trouver le temps et la motivation pour s’asseoir et étudier peut être difficile. Pour remédier à cette situation et sortir les étudiants de leur torpeur, le gouvernement congolais a le devoir de soutenir l’ensemble éducation-formation, arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour changer le pays.

Activiste des droits de l’Homme, vous l’êtes toujours ?

Je suis et je resterai activiste des droits de l’Homme jusqu’à la fin de ma vie.

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