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Le Sommet de Nairobi consacre des avancées historiques à plusieurs égards [Tribune]

Depuis l’annonce de l’ouverture du dialogue entre Kinshasa et une dizaine de groupes armés locaux, une des résolutions du sommet régional sur la sécurité en République démocratique du Congo tenu à Nairobi (Kenya), les réactions sentimentales et émotives fusent en lieu et place d’analyses.

Je me suis exercé à une brève analyse sur le fond de cet accord qui me parait historique à plusieurs égards. Et, je note plusieurs points positifs majeurs.

1.   L’on note clairement la régionalisation du problème de sécurité dans l’Est de la RDC

La sécurité dans l’Est de la RDC a longtemps été traitée comme une affaire interne de la RD Congo. L’avancée enregistrée c’est que le conclave de Nairobi régionalise la question d’insécurité dans l’Est de Congo-Kinshasa pour la première fois.

Au deuxième paragraphe du communiqué final, on parle même de « la situation dans l’Est de la RDC et dans les pays voisins. » Au point 1, on décide « d’inviter les autres dirigeants de l’EAC (East African Community) de joindre le conclave et de les impliquer dans les réunions futures ».

2.   Deux approches complémentaires et concomitantes sont clairement soulevées

Le conclave a retenu deux approches pour résoudre la question de l’insécurité.

Il y a l’approche politique qui est bien soulignée au point 5.a du communiqué et l’approche militaire/sécuritaire soulignée au point 5.b.

S’agissant de l’approche politique

Je suis surpris que la plupart des commentateurs sont indignés que Félix Tshisekedi ait été soi-disant forcé à négocier avec les groupes armés. D’abord, nulle part le communiqué ne parle de « négociation ».

Ce document parle plutôt de « consultations ». Le président de la RDC a ensuite informé ses pairs africains qu’il a décidé d’entamer ces consultations dès ce vendredi 22 avril. Il informera ses collègues sur l’issue de ces consultations.

Il est vrai que toute négociation avec les groupes armés invoque des souvenirs douloureux chez les Congolais ; c’est normal que les gens réagissent.

En 2013, le Rwanda et l’Ouganda avaient forcé la RDC à négocier pendant quasiment une année avec le M23, un groupe rebelle que le pays venait pourtant de vaincre militairement. Ces négociations de Munyonyo étaient conduites sous la médiation du président Ougandais Museveni, un des parrains du M23.

Ici c’est différent. Le gouvernement de la RDC reste maitre du processus des consultations : c’est lui qui a élargi les consultations aux autres groupes armés (alors que Kigali voulait peut-être que Kinshasa négociât uniquement avec le M23) ; c’est lui qui est allé chercher les groupes armés dont certains représentants sont arrivés à Nairobi ; c’est lui-même qui va organiser et présider ces consultations sans aucun des parrains de ces groupes armés; et c’est encore lui qui informera les autres dirigeants de la région de la suite de ces consultations.

Le conclave n’a pas non plus laissé beaucoup de marge de manœuvre aux groupes armés : il a décidé que tous les groupes armés participent inconditionnellement au processus politique pour résoudre leurs griefs. À défaut de le faire, tous les groupes armés congolais seraient considérés comme des forces négatives et la région s’occupera d’eux militairement.

Concernant l’approche militaire/sécuritaire

Il y a deux importantes décisions qui ont été prises, à savoir : 

– Accélérer la mise en place d’une force régionale pour aider à contenir et, le cas échéant, combattre les forces négatives.

– Le déploiement urgent de cette force ; et pour cela, la réunion a ordonné que la planification de cette force commence (i) avec effet immédiat la pleine consultation des autorités compétentes de la région et (ii) sous la direction de la RDC.

Autrement dit, l’approche militaire/sécuritaire n’est pas conditionnée par le résultat de l’approche politique. Les deux approches sont ainsi concomitantes

3.   La question des groupes armés étrangers

J’ai vu des commentaires sur le fait que le conclave de Nairobi n’a pas imposé aux autres pays de dialoguer avec leurs groupes armés. D’après le communiqué, pourtant, les dirigeants de la région ont décidé que tous les groupes armés étrangers écumant l’Est de la RDC soient désarmés et retournés sans condition et immédiatement dans leurs pays d’origine respectifs. À défaut de le faire, ces groupes armés seraient considérés comme des forces négatives et la région s’occupera d’eux militairement.

4.   Trop de chaleur patriotique, peu de lumière

La fierté nationale des Congolais est souvent sans bornes. Mais à quoi sert la fierté patriotique sans moyen de l’exercer ?

L’annonce de l’intervention de l’armée ougandaise fin novembre 2021 a été accueillie avec un tollé d’indignations semblable à ce qu’on entend aujourd’hui. À l’époque, Adolphe Muzito écrivait : « L’autorisation accordée par le gouvernement aux troupes ougandaises d’entrer dans le territoire national, soi-disant pour traquer les rebelles de l’Ouganda, traduit le déficit de souveraineté de notre pays, en ce qui concerne sa capacité de défense et sécurité du territoire ». Delly Sesanga était plus sarcastique : « Dans les circonstances actuelles de mon pays, il vient à moi cette pensée de Paul Valéry : « Tous les politiques ont lu l’histoire. Mais, on dirait qu’ils ne l’ont lue que pour y puiser l’art de reconstituer les catastrophes ». Le Dr Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix, était plus apocalyptique : « Après 25 ans de crimes de masse et pillages de nos ressources par nos voisins, l’autorisation du président à l’UPDF et les accords de coopération militaire avec RDF sont inacceptables. Debout Congolais, la Nation est en danger ».

Le recours à des émotions lyriques et exagérément patriotiques cache souvent le refus d’affronter des réalités qui fâchent. Les députés Grégoire Kiro Tsongo de Beni et Peter Kazadi de Kinshasa ont, à l’époque, rappelé certaines de ces réalités. Grégoire Kiro : « L’invitation de l’UPDF à soutenir les FARDC a un objectif précis : traquer les ADF, un ennemi commun à nos deux pays que nous n’avons pas réussi à détruire seuls ». Peter Kazadi : « quelle est la solution pour contrer les ADF, à part nos jérémiades ? »

Et comme pour l’annonce de l’intervention de l’armée ougandaise, les réactions qui ont accueilli le communiqué de Nairobi sont longues en jérémiades mais courtes en solutions alternatives.

La réalité est que d’aucuns versent facilement dans les jérémiades précisément parce que, secrètement, ils savent qu’ils n’ont pas de solutions alternatives. Et pourquoi n’y a-t-il pas de solution alternative ? Pourquoi n’avons-nous pas réussi tout seuls à détruire l’ennemi, pour parler comme le député national Kiro ? La raison principale est connue de nous tous, très difficile à admettre, mais toute simple.

Le rapport de la Commission Défense et Sécurité de l’Assemblée nationale (août 2021) éclaire sur la question notamment, sur des défis auxquelles l’armée est confrontée.

L’on note :  

– L’insuffisance et inadaptation de moyens nécessaires à une guerre asymétrique ;

– L’insuffisance et le vieillissement des effectifs réels sur le champ des opérations ainsi que l’absence des unités formées pour des opérations spéciales

– Les effectifs fictifs ;

– Le détournement des éléments de l’armée et de la police de leur mission primaire en les affectant dans le gardiennage et la protection des sites miniers ;

– Le détournement de fonds alloués aux opérations et aux besoins de la troupe sur le champ de bataille, etc.

Dans un contexte opérationnel comme celui-ci, bien malin qui proposera une solution différente de celle à laquelle le Conclave de Nairobi a conclu.

Tribune de Pitshou Mulumba
Journaliste politique et Coordonnateur du Journal Le Potentiel/lepotentiel.cd

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