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Debora Kayembe : « Je crains que l’université cède aux sirènes des Rwandais »

Dès l’entame de sa déclaration, Debora Kayembe n’a pas mâché ses mots pour s’étonner du tollé suscité par ses propos et qui créent une polémique aberrante : « Ai-je le droit d’avoir et d’émettre une opinion sur un fait quelconque ? Je crois que oui, si je la présente de bonne manière. Surtout dans cette affaire qui prête à interprétation rigoureuse, à mon sens, en raison de ma nationalité congolaise », déclare-t-elle.

Elle s’explique : « Exprimer une quelconque préoccupation concernant le bilan du gouvernement rwandais en matière de droits humains ne signifie pas que je réfute ou je méconnais le génocide au Rwanda en 1994. Selon mes détracteurs, dans mon tweet ayant provoqué ce chahut, j’aurais tenu un discours infamant qui remet en cause l’authenticité de la théorie du génocide rwandais. Évidemment non ! D’ailleurs, dans mon texte, je reconnais clairement la survenance du génocide rwandais. C’est un fait accepté, nul ne le conteste. » Et de poursuivre : « Cela a peut-être été exprimé de manière inélégante, c’est pourquoi je l’ai retiré et j’ai présenté mes excuses si ces allégations ont offensé quelqu’un. Dès lors, j’ai pensé que, pour la majorité des gens bien-pensants, l’acte posé mettait fin à l’affaire, mais apparemment non. »

Pour rappel, l’élément déclencheur du génocide au Rwanda en 1994 a été l’assassinat des présidents du Rwanda, Juvénal Habyarimana, et de Burundi, Cyprien Ntaryamina, perpétré au dessus de l’aéroport de Kigali par le tir d’un missile contre le Falcon 50 présidentiel qui transportait les deux hommes d’État. Il existe des éléments de preuve suggérant que Paul Kagame en est le commanditaire. La justice française a conclu à la véracité des faits. Et de nombreux témoignages de l’époque corroborent cette accusation, comme le déclare à juste titre Debora Kayembe.

S’agissant d’un accord conclu entre Paul Kagame et le chef du gouvernement britannique, Boris Johnson, pour accueillir au Rwanda les demandeurs d’asile éconduits d’Europe, elle affirme : « personne à l’Université ne m’a dit que je ne pouvais pas exprimer une opinion, à titre personnel, sur le projet du gouvernement britannique, en l’espèce l’accord conclu entre le Rwanda et la Grande Bretagne pour accueillir au pays de Paul Kagame les personnes refoulées d’Europe qui sont demandeurs d’asile. Ce qui serait d’ailleurs aberrant. En conséquence, je n’ai pas compris que mon opinion à ce sujet suscite un tollé et créée une controverse. En ma qualité d’ancien demandeur d’asile, je ne pouvais cautionner le projet du Royaume-Uni qui consiste à externaliser des personnes vers le Rwanda. »

Stratégie de victimisation

Dans sa déclaration, Debora Kayembe dénonce le machiavélisme de Paul Kagame qui consiste à rejeter toute critique des événements de 1994. Dans l’esprit du président rwandais, tout avis contraire à l’idée qu’il se fait de cette tragédie, aussi judicieux soit-il, est généralement perçu comme une remise en cause du génocide rwandais.

« Face à une critique des massacres survenus lors du génocide au Rwanda, le pouvoir de Paul Kagame adopte toujours une stratégie de victimisation : toute analyse est qualifiée de déni de génocide, alors qu’il n’en est rien. Je crains que l’Université tombe dans ce piège et cède aux sirènes des Rwandais », s’indigne-t-elle. Et de regretter : « J’aurais peut-être dû être plus explicite dans mon propos (Tweet) sur les questions auxquelles je faisais référence, mais la colère a pris le dessus. »

Quant à son maintien ou non à son poste de rectrice de l’université d’Édimbourg, Debora Kayembe en appelle à la responsabilité de la vénérable institution.

« Si l’Université d’Édimbourg pense que me démettre de mes fonctions améliorerait son image plutôt que nuirait à sa bonne réputation, alors qu’il en soit ainsi. Que bien lui fasse. » Mais elle n’entend pas baisser les bras : « Je contesterai, bien sûr, toute initiative qui irait dans ce sens. Du point de vue juridique, je suis très bien conseillée. Et si l’objectif de l’Université est de me révoquer, sa démarche serait illégale car elle n’aurait pas respecté la procédure en la matière. Il sied de noter, ici, que j’ai exprimé cette opinion sur mon compte tweeter personnel, et non sur celui de la rectrice que l’University and college union (UCU) m’a ouvert. Donc, mon propos n’engage pas l’Université », assure-t-elle.
« J’ai beaucoup souffert du contrecoup de cette affaire »

Les conséquences du génocide rwandais de 1994 ont été catastrophiques pour le Congo. Dans sa déclaration, Debora Kayembe a tenu à le faire savoir, en tant que Congolaise.

« Des millions de personnes ont payé de leur vie cette hécatombe dans l’Est du pays. Le Front patriotique rwandais (FPR), dirigeait par Paul Kagame, en était responsable. Après enquête, les Nations unies avaient conclu que cette boucherie équivalait à un génocide », affirme-t-elle. Et de continuer : « Cela se poursuit de nos jours, par milices armées interposées, qui sont tantôt Rwandais, tantôt Ougandais, recrutées en vue de déstabiliser le Congo. J’ai quitté mon pays pour fuir ces atrocités qui rendent difficiles les conditions d’existence de la population. Cette situation est profondément douloureuse pour moi, comme elle l’est pour tous les Congolais. Elle doit se savoir et être rendue publique. Et souligner ces faits ne revient pas à nier la vérité du génocide au Rwanda. »

Elle se dit fière de sa réussite, de ses réalisations et du lien de confiance établi avec les étudiants et le personnel de l’université d’Édimbourg.
« Je suis fière de ce que j’ai fait pour le mouvement « Black Lives Matter » (BLM). J’ai été élue rectrice par les étudiants et le personnel de l’Université d’Édimbourg sans concours. Je crois qu’ils me soutiennent toujours, car ils sont mon rempart. Je sais qu’il existe deux pétitions en ligne : l’une exigeant mon maintien et l’autre réclamant ma révocation. Néanmoins, le nombre de signataires qui soutiennent ma continuation est cinq fois supérieur à celui qui demande mon départ », s’enthousiasme-t-elle.

Pour conclure, Debora Kayembe livre son ressenti sur cette affaire qu’elle vit très mal et qui peut être qualifiée d’injuste.
« J’ai beaucoup souffert du contrecoup de cette affaire. J’ai été victime de chantage en ligne et de menaces de mort. Celles-ci font l’objet d’une enquête de la police. J’ai le sentiment d’avoir été abandonnée par l’Université qui ne fait rien pour me protéger. Cela m’est profondément désagréable. Son indifférence à mon égard et ses prises de position ont plutôt aggravé la situation. C’est inquiétant. »

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