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Savoir se gêner : indice de la démocratie et du développement d’un pays

Le mot « indice » peut être défini comme étant un signe révélateur d’une situation quelconque. Dans cette acceptation, le mot « indice » utilisé ici ne correspond pas nécessairement avec l’idée de cause à effet. De sorte que nous n’affirmons pas de manière catégorique que le fait de savoir se gêner entraine le développement d’un pays mais que cette valeur liée à la démocratie favorise souvent le développement d’un pays comme nous allons le montrer dans les lignes qui suivent.

La démocratie est la substance d’un état de droit. Par l’état de droit on attend un état dans lequel le droit de tout citoyen est respecté, les autorités sont également soumises à la légalité, et la norme sociale sanctionnée par des mesures coercitives. Personne n’est au-dessus de la loi. En d’autres termes, l’état de droit est celui dans lequel la Démocratie et les vertus qui lui sont inhérentes sont d’application, au nombre desquelles figure le fait de savoir se gêner. D’après le dictionnaire Robert, la gêne est définie comme un malaise ou trouble physique dû à une situation désagréable. Tandis que l’expression « se gêner » y définie comme le fait de s’imposer une contrainte morale ou physique.

Etre sans gêne se dit des personnes qui prennent leurs aises sans s’inquiéter de l’embarras ou du plaisir qu’elles peuvent causer. Cette définition correspond étrangement à l’attitude affichée généralement par les autorités Africaines, et plus particulièrement Congolaises dans la gestion des affaires de leurs états respectifs.

Historiquement, l’état de droit intervient l’avènement des idées des lumières en Europe qui correspond à l’état moderne ayant fait suite à la monarchie en Europe qui a précédé l’état moderne et la République, le monarque et la noblesse se comportaient comme bon leur semblait sans trop se préoccuper des aspirations profondes du peuple ; c’est alors qu’intervient la Démocratie définie de manière lapidaire comme étant « Le Gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ».

Force est de constater que la démocratie comparée à la monarchie correspond à un degré de gouvernement plus développé et plus intéressant pour les citoyens.

Aujourd’hui que nous, peuple Congolais et nos dirigeants, nous voulons manifestement construire un état de droit, nous sommes appelés à nous débarrasser absolument de toutes ces antivaleurs qui constituent un grand handicap au développement et à la démocratisation d’un état, au nombre desquelles il y a le fait de ne pas se gêner. C’est dans ce cadre que nous avons estimé utile d’analyser ici l’une des vertus fondamentales caractéristiques d’un état de droit, à savoir le fait de savoir se gêner. En effet, il n’y a pas de vie communautaire viable lorsque les individus faisant partie d’un groupe ne savent pas se gêner quand il le faut. De telle sorte qu’une Société dans laquelle cette précieuse vertu n’est pas cultivée est assurément exposée à toutes sortes de désordre occasionné par les « sans gêne », c’est-à-dire des individus sans scrupules comme nous allons le démontrer plus loin.

Certains lecteurs pourraient, non sans raison, se poser la question sur la corrélation qui existerait entre la démocratie et le développement d’un pays avec le fait de savoir se gêner ? Pour répondre à cette question, nous dirons que nous sommes de ceux qui pensent, sans nécessairement être des partisans de l’école du droit naturel, que certaines valeurs ou vertus sont de l’essence de la Démocratie telles que le droit à la vie, la liberté d’expression ou celle d’opinion, le droit à l’information ou à la formation, etc.

De manière plus philosophique, nous estimons que chaque édifice en construction à une certaine logique, a l’idée que s’en fait son constructeur, bref au plan de construction. Et pareillement, les bâtisseurs de l’état moderne au régime politique fondé sur la démocratie, avaient voulu ériger un système politique basé sur des normes tirées de certaines valeurs sociales inhérentes à la démocratie telles que le respect de biens publics, la considération de la personne de l’autre, ou encore la primauté accordée à l’intérêt supérieur de la Nation. Des valeurs qui sont généralement foulées au pied par les « sans gêne ».

Placer « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut »

De même qu’en matière de construction, en architecture, l’une des règles fondamentales de la réussite est celle de poser chaque chose à sa place, chaque matériel à l’endroit qui convient en vue d’éviter l’écroulement de l’édifice en construction. Pareillement dans le domaine de l’édification d’un édifice sociopolitique, l’une des règles capitales dans la construction d’un état de droit moderne est le placement de « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ». Faire autrement conduirait à l’anarchie, au chaos dans la société, à l’écroulement de l’édifice commun en devenir. Or c’est ce qui arrive généralement dans les sociétés comme les nôtres où les « sans gêne » ne sachant pas tempérer leurs ambitions politiques en fonction de leur mérite ou de leurs compétences viennent occuper des postes qui ne leur conviennent pas, et se disputent des charges qu’ils n’ont jamais apprises à exercer. En estimant comme le pensent la plupart des Congolais que la chance sourit à qui elle veut (idée exprimée en lingala par l’expression chance eloko pamba), c’est à cause de cette fausse conviction que même les shégués (enfants de la rue) rêvent pouvoir devenir un jour ministres ou PDG, encouragés dans cette ambition par les exemples connus de certains de nos hautes dirigeants politiques qui autres inconnus et ignorés pouvaient ex nihilo arriver à tout. Alors qu’un homme raisonnable en l’occurrence celui qui sait se gêner n’accepterait être largement au-dessus de ses compétences ou de ses capacités.

De la même manière qu’un monsieur raisonnable n’accepterait jamais, à cause de la gêne salutaire, de se coiffer ou de s’habiller des plus beaux habits s’il estime que cela ne correspond jamais à son look ni à sa corpulence.

De ce principe, l’homme politique et philosophe hindou en a fait application, le Mahamat Mahandas Ghandi à cause de la gêne raisonnable, avait toujours de s’habiller hiver comme été, ou de vivre à l’occidental en considérant que cela ne correspondait pas à sa culture ni à sa philosophie ; c’est ainsi que ce vieux sage hindou, prix Nobel de la paix en son temps, a su concilier la modernité avec les exigences de sa société, au point que grâce à lui principalement son pays l’Inde est aujourd’hui compté parmi les puissances nucléaires de la planète.

Nos pionniers de l’indépendance, préoccupés par leur devenir matériel, comparés à ce sage homme politique hindou, se sont illustrés eux dans le mimétisme éhonté de l’homme blanc, leur colonisateur, en ayant comme ambition mal placée de vivre le colonisateur, manger comme lui, s’habiller comme lui, et même fumer le cigare comme ce dernier. Et le résultant de leur singerie est patent jusqu’aujourd’hui. L’homme politique Congolais est superficiel, très léger dans ses prises de position. Il s’agit d’une conception de la politique vécue comme un gagne-pain. Or la politique, ce noble métier, qui doit être réservé aux meilleurs devrait être mise au service des intérêts supérieurs de la Nation. Ici au Congo c’est plutôt la politique au service du ventre de l’homme politique ironiquement désigné sous le vocable « la ventrocratie ». Cela étant dit, voyons maintenant si le degré de développement d’une Société correspondrait au niveau de prise de conscience de leur responsabilité sociale affichée par les individus composant ce groupement ?

A ce sujet, il nous semble évidemment curieux de constater qu’en général les Africains et les Congolais en particulier soient beaucoup moins prompts à se gêner dans leurs gaffes que les autres peuples ! L’ancien Président de la République Française Monsieur Jacques Chirac avait dit en son temps qu’il ne fallait pas servir aux peuples Africains la démocratie car ça serait un produit de luxe qui ne correspondrait pas au degré de développement de leurs sociétés. Cette affirmation avait détoné et scandalisé plus d’un Africain, c’était une pavée dans la marre. Mais, au demeurant, Monsieur Jacques Chirac avait-il eu raison ou tort de l’affirmer.

L’autocensure dépend du degré d’évolution d’un individu

Les avis sont partagés pour répondre à cette question. A chacun de s’en faire une idée. Quant à moi, je pense que, de manière générale, pour avoir la capacité de se jauger, d’analyser à froid ses propres actes ou encore de s’autocensurer dépend beaucoup de la maturité ou du degré d’évolution d’un individu. Nous voyons, en effet qu’un petit enfant qui voudrait satisfaire un de ses besoins fondamentaux ne demande qu’à le faire tout de suite et maintenant sans se préoccuper de la réaction des autres personnes. Il s’agit de l’instinct animal qui rapproche les humains des animaux. J’ai tendant à ce sujet, à épingler la majorité de la population Congolaise, plus spécifiquement Kinoise qui a développé une fâcheuse habitude de vendre des aliments de consommation à même le sol et juste à côté des poubelles. Cette tendant fâcheuse se remarque également dans l’établissement des restaurants de fortune, ces gargotes appelés « Malewa » juste à côté des poubelles puant dans la totale indifférence des restaurateurs et de leurs clients. Cette insouciance à gagner également la voirie, il suffit de se rendre dans certains quartiers de la capitale Kinoise tels que le quartier UPN ou le quartier Matadi Kibala pour découvrir des scènes désolantes des mamans et jeunes filles qui exposent des vivres sur la chaussée où passent des véhicules de tous tonnages. Et pire encore, à côté de ces vendeuses de fortune, se sont créés des parkings informels des taxis et mototaxis dans la totale indifférence des autorités civiles et policières qui empruntent quotidiennement ces mêmes routes pour se rendre à leurs lieux de travail.

Au regard de ce qui précède, on pourrait à juste titre se demander si la ville de Kinshasa est encore gérée selon les normes ? Personne ne se gêne, ni nos autorités qui tolèrent pareille situation, ni la population qui est à l’origine de cette anarchie ! C’est le spectacle du Park qui fait penser à la déclaration de l’auteur Belge David Van Brouke qui comparait, dans son livre intitulé « Le Congo, une histoire », notre pays a un vaste territoire où sillonne en liberté les espèces.

Un autre élément d’analyse qui nous vient à l’esprit est le constat qu’à chaque fois qu’on a eu à faire à une société où la vertu de savoir se gêner était respectée, il s’est agi d’un état assez évolué. Par exemple, en occident (Europe et Etats-Unis d’Amérique compris), la gestion de la chose publique est réservée aux excellents, d’où l’expression d’excellence réservée aux ministres ou encore celle d’honorable pour parler des membres du Parlement. Chez nous, à part le vocable d’excellence ou d’honorable, la plupart de nos dirigeants se sont révélés sans scrupules dans la gestion de la chose publique : « Détournement des deniers publics, scandales dans le domaine économique ou social, ces derniers ne se gênent jamais. Et comme ils ont la conception de la politique vécue comme un gagne-pain, ils n’envisagent jamais de démissionner quand il le faut.

Alors que dans les sociétés occidentales nourries de la morale puritaine en politique, on exige des autorités politiques qu’elles soient au-dessus de tout soupçon « la femme de César ». Et au moindre soupçon l’autorité mise en cause se fait Hara-kiri en démissionnant de son poste. Nous avons vu l’ancien président Américain Richard Nixon démissionner de son poste à cause du scandale dû à l’affaire du Watergate. C’est la politique de l’excellence qui tire vers le haut chez nous, l’ancien Cardinal et Archevêque de Kinshasa avait fini par lâcher le mot lors des élections de l’an 2018 en déclarant publiquement que « Les médiocres dégagent ».  

En effet, le jeu politique Congolais est dominé par les médiocres. Des individus ne cultivant nullement la vertu de savoir se gêner. Et cela fausse à coup sûr le jeu démocratique. Par exemple, lorsque les adeptes de la politique du ventre ou de la « ventrocratie » se livrent à la transhumance politique sans aucun état d’âme, sans scrupule ils changent de casaque politique, le matin il est dans l’opposition et le soir le voilà composer avec le pouvoir en place. Et ce pour des raisons de positionnement politique ou tout simplement pour satisfaire ses besoins matériels de jouissance personnelle ou d’accumulation des richesses.

Apprendre à se gêner pour ne pas gêner les autres

On ne le dira jamais assez, notre pays la RDC ressemble à un gâteau au miel où chaque convive tient à avoir sa part ici et maintenant coûte que coûte au mépris des valeurs sociales. Au diable les vertus démocratiques. C’est le royaume des antivaleurs comme le népotisme, la gabegie, les détournements des deniers publics, l’impunité sous toutes ses formes. Cependant, il importe de relever que ce manque de gêne qui semble caractériser le peuple Africain en général, et Congolais en particulier, n’a pas toujours été ainsi.

En effet, des nombres proverbes Africains, voire Congolais, nous apprennent que nos ancêtres savaient effectivement se gêner quand il le fallait. De même la hiérarchisation de la société, en fonction notamment des groupes d’âges ou le regroupement des individus en fonction de leur sexe signifiait que nos ancêtres ne voulaient pas mêler les jeunes ou les femmes à certaines causeries indécentes. Et ce n’est pas étonnant que nos ancêtres qui savaient cultiver cette vertu de gêne aient pu bâtir jadis des grands royaume et empire tels que les royaumes du Mali, du Congo ou l’empire Kuba. 

Nous arrivons à la période coloniale, plus particulièrement au Congo-Belge où nous constaterons que nos compatriotes savaient « quand même se gêner », même si cela était dû en partie grâce à la discipline du colonisateur Belge qui savait bien se servir du fouet appelé « chicotte ».

Mais au départ du colon Belge, le peuple a redonné libre cours à ses bas instincts qui se sont amplifiés sous la 2ème République du Maréchal, politique où la classe politique iconoclaste a fini par intégrer cette trouvaille exprimée par l’adage « Le ridicule ne tue pas » pour pouvoir agir sans scrupules et faire passer l’intolérable.

Le Congolais ne se gêne plus de ses errements. Qu’il s’agisse du dirigeant politique ou du simple citoyen. Cette antivaleur est ancrée dans le substrat de notre société. Alors que le dirigeant politique Congolais s’est trouvé une excuse à travers son expression « Le ridicule ne tue pas », l’homme de la rue a quant à lui vulgarisé cette pensée qui s’exprime en lingala par le vocable « Na nko » qui veut dire en français « je l’ai fait et puis quoi encore » ou même « je m’en fous ». Au lieu de se gêner, on lance plutôt un défi. Il n’y a plus de pudeur. Une thérapeutique collective à appliquer sur le peuple Congolais s’impose. Il est grand temps que vous nous appreniez à cultiver des vertus salutaires, qui favorisent l’avènement d’une culture démocratique et le développement d’un pays. Et ce, au moment précis où s’ouvre devant nous l’ère de l’état de droit. L’expression état de droit est aujourd’hui en RDC sur toutes les lèvres, tant celles de la population qui réclame en sa faveur le respect des droits et libertés fondamentaux, que sur les lèvres du nouveau pouvoir politique incarné par l’actuel chef de l’Etat qui est un enfant de la démocratie, qui ne cesse de clamer « le peuple d’abord » et qui mériterait bien le surnom de « tshilobo ».

En guise de conclusions, nous réaffirmons notre conviction que certaines vertus telles que le fait de savoir se gêner, favorisent la démocratie et le développement d’un pays. En effet, si nos dirigeants politiques avaient su cultiver cette salutaire vertu dans la gestion de la chose publique dont ils avaient la charge, aujourd’hui notre pays serait de loin développé. Car, le mal qui ronge notre économie a pour soubassement les antivaleurs telles que la corruption, les détournements des deniers publics, la gabegie, le népotisme, le tout couronné par l’impunité voulue et entretenue. L’attitude inverse contribuerait à réduire les coulages des recettes publiques et logiquement accroitrait le budget de l’Etat ainsi que les possibilités réelles de développement de notre pays.

Pour terminer, nous invitons vivement le peuple Congolais et ses dirigeants à apprendre à se gêner pour ne pas gêner les autres en société, et nous construirons ainsi tous ensemble une société édifiante et prospère.

Paul Lukunku Kanyama

Avocat

 

 

 

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