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CULTURE

Confidences du chauffeur du Ministre : « GOMA sous le choc ! »


… Je suis, moi chauffeur du Ministre en congé forcé, devant la télé en compagnie de ma femme, dans notre salon. Peu à peu, le minuscule salon se remplit de voisins de la parcelle. C’est qu’à chaque séquence du reportage télévisé, ma femme pousse des cris d’horreur. C’est qu’en direct à la télé , la ville de Goma joue à cache-cache avec l’apocalypse, avec la mort. Images d’épouvante. Comme dans un mauvais film. Comme dans un mauvais jeu de mauvais cache-cach

Choc : images de cohortes de réfugiés fuyant leur camp de reclus involontaires, le dos surchargé de balluchons de misère. Et, quelquefois, en laisse et à la traîne, une chèvre kwashiorkorée. Choc : image de ce bambinet éperdu et perdu, agrippant sa toute petite sœur sur son dos frêle. Choc : image de cette vieille certainement percluse d’arthrose et traînant la jambe, traînant péniblement son vieillard de mari manifestement aveugle. Choc : images d’une ville de Goma sous la canonnade d’un ennemi invisible, mais envahissant de par la rumeur hyper-enflée et de par la traînée des morts tapissant des routes-cimetières.

Choc : un bébé abandonné sur un terrain vague, un terrain-cimetière. Presque mort d’épuisement. Epié par les oiseaux charognards. Et voici la scène tragique et fatale : face à face de l’enfant moribond et du charognard en attente d’une proie facile à sa merci.

Choc : à la vue de toutes ces images, ma femme est tombée K.O par terre. Elle crie de douleur, et de je ne sais quoi d’autre de plus fort. Les voisins de la parcelle, puis du quartier accourent, paniqués, prêts comme le veut la tradition d’ici, à recueillir les larmes et à amplifier le deuil, sans savoir vraiment de quel deuil il est question.

Une fois les voisins accueillis, je leur indique, sans commentaire, les images qui envahissent, qui souillent, qui ensanglantent l’écran. Ici, dans mon petit salon, c’est une tempête d’émotions…

… Juste à ce moment-là, un coup de téléphone insistant : c’est mon patron le Ministre d’Etat des Questions Statistiques et Tactiques. Il s’alarme de mon absence à sa résidence pour le conduire à son bureau. Mais, soudain perplexe, il interrompt la communication et me demande pourquoi tant de cris, tels des pleurs, autour de moi. Je lui réponds que je suis en deuil, que ma famille est en deuil. Que tout mon quartier est en deuil. La ville aussi. Le pays aussi.

Silence du Ministre au bout du fil ; puis d’une voix cassée : « Pilote, mon pilote, restons debout. Résistons ! »

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