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Régionalisation de la crise dans l’Est de la RDC : un des principaux acquis de la diplomatie de Tshisekedi

Comme je l’indiquais dans ma réflexion du 22 avril 2022, intitulée : « Le sommet de Nairobi consacre des avancées historiques à plusieurs égards » https://lepotentiel.cd/2022/04/22/le-sommet-de-nairobi-consacre-des-avancees-historiques-a-plusieurs-egards-tribune/, il y a lieu de souligner que la régionalisation de la crise dans l’Est de la République démocratique du Congo reste l’un des principaux acquis de la percée diplomatique congolaise de ces dernières années.

Pendant des années et dans le silence complice de nos dirigeants successifs, la communauté internationale a traité la crise dans l’Est du pays comme une affaire interne congolaise ignorant ou faisant semblant d’ignorer qu’elle était provoquée par les crises de gouvernance et les guerres civiles au Burundi, au Rwanda et en Ouganda.

Depuis quelques mois et grâce à la diplomatie agissante de Kinshasa, le lien entre les pays voisins et la crise dans l’Est de la RDC est désormais rétabli. Le Sommet du Mécanisme Régional de Suivi de l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République Démocratique du Congo et la région, tenue à Kinshasa le 24 février 2022 sous la présidence du président Tshisekedi a, parlant du conflit entre le Burundi et le Rwanda, encouragé « les deux pays à continuer de prendre des mesures pour normaliser pleinement leurs relations. » Il a également encouragé l’Ouganda et le Rwanda « à continuer de dialoguer afin de régler toute question en suspens et de rétablir pleinement les relations de bon voisinage ». Fait sans précédent, le Sommet s’est préoccupé des processus politiques internes dans les pays de la région, et pas seulement en RDC comme par le passé.

Ainsi, les chefs d’Etat de la région se sont « félicités de la signature, le 6 février 2019, de l’Accord politique entre le Gouvernement de la République centrafricaine et 14 groupes armés ». Ils ont aussi « salué la formation d’un Gouvernement provisoire d’union nationale revitalisé, conformément à l’Accord revitalisé sur le règlement du conflit en République du Soudan du Sud. »

On sait que la présidence des sommets d’une telle importance circule auprès des délégations les documents à adopter longtemps à l’avance. La présidence congolaise doit donc avoir circulé le draft de ce communiqué auprès des pays membres pour discussion. Ce ne serait donc pas pousser l’imagination trop loin que de croire que c’est pour protester contre cette régionalisation, acceptée par les autres chefs d’Etat, que Kagame a boycotté ce Sommet, se contentant de s’y faire représenter par son Premier ministre.

L’insécurité dans l’Est n’est pas la conséquence d’une crise interne au Congo

C’est pour la même raison que le même Paul Kagame boycottera le Deuxième Conclave des Chefs d’Etat de la CEA convoqué par le président Uhuru Kenyatta le 21 avril. Ce Conclave, auquel Kagame n’a envoyé que son ministre des Affaires étrangères, a confirmé la régionalisation de la crise dans l’Est de la RDC. Le communiqué de ce Conclave a parlé de promouvoir la paix, la stabilité et le développement dans l’est de la RDC « et dans la grande région de l’Afrique de l’Est. » De façon plus significative, le 2ème Conclave de Nairobi a décidé que « tous les groupes armés étrangers en RDC doivent désarmer et retourner sans condition et immédiatement dans leurs pays d’origine ». À défaut de le faire, le Conclave a décidé que c’est la région entière – non plus les pays individuels respectifs – qui allait s’occuper d’eux militairement.

Tout cela menaçait de mettre une fin abrupte aux interventions militaires unilatérales ouvertes ou clandestines devenues le modèle opératoire de Kagame depuis deux décennies.

Le président rwandais, aidé en cela par la communauté internationale, a toujours présenté la crise dans l’Est de la RDC comme la conséquence de la faillite de l’Etat congolais. Ce qui est faux. Le Sommet de Kinshasa de février 2022 et le Conclave de Nairobi d’avril 2022 ont battu en brèche cette thèse en rétablissant le lien de causalité entre la crise dans l’Est et les conflits entre voisins d’une part et les crises internes de gouvernance au sein des pays de la région. Kagame aurait également voulu continuer à régler lui-même unilatéralement et à sa manière le problème des FDLR, un problème dont les experts disent qu’il est constamment exagéré pour les besoins de la cause. Mais le Conclave a imposé une autre voie, celle des processus politiques internes dans les pays d’origine des groupes armés étrangers pour faciliter leur retour volontaire et concerté. Le président Ndayshimiye du Burundi a aussitôt déclaré sa volonté d’entamer un tel processus avec les RED-Tabara.

Dans la foulée, Paul Kagame qui a boycotté le sommet d’Oyo au Congo-Brazza (début février), le sommet de Kinshasa (fin février), et le 2ème Conclave de Nairobi (avril), a enfin participé au 3ème Conclave de Nairobi dimanche 19 juin 2022. Il faut y voir le triomphe de la régionalisation et le début de l’échec de sa stratégie de qualifier l’insécurité dans l’Est de la RDC comme la conséquence d’une crise interne au Congo, crise que seul lui, Kagame, peut résoudre.

Les attaques du M23, stratégie pour saboter le processus de Nairobi

Il est donc clair que c’est pour saboter tout le « Processus de Nairobi » que Kagame a décidé de passer à l’attaque armée contre la RDC en utilisant le M23. Et tous ceux qui s’opposent aux conclusions du Processus de Nairobi font semblant de ne pas le comprendre. Parmi eux, certains s’opposent à la Force Régionale qui va être déployée. Mais il faut le dire, la Force Régionale est au cœur de la stratégie de régionalisation de la crise dans l’Est de la RDC. S’y opposer c’est souhaiter, consciemment ou inconsciemment, le retour au bon vieux temps où la RDC était seule face à la perfidie des interventions rwandaises.

Certains proposent de remplacer la Force Régionale par un contingent renforcé des FIB au sein de la MONUSCO. Il est ironique de constater que parmi ceux qui proposent la MONUSCO comme alternative il y a certains mouvements de jeunes qui ont dépensé une bonne partie leur énergie à manifester contre la même MONUSCO en 2019 et 2020. Il est important de rappeler que la RDC a déjà avancé des propositions similaires à ceux qu’ils avancent. En 2019 en effet, la RDC a démarché et les NU et la SADC pour un renforcement des troupes FIB pour qu’elles se concentrent sur la lutte contre le terrorisme à Beni. Le 39e Sommet de la SADC (août 2019) a répondu par un refus poli, se contentant de « prendre acte des actes d’extrémisme et de terrorisme […] sur le territoire de Beni » et décidant plutôt « de collaborer avec la Conférence internationale sur la Région de la Grande Lacs (CIRGL) et de consolider les efforts entrepris pour rétablir la stabilité sécuritaire en RDC et dans la région des Grands Lacs. » Ce que la SADC disait à la RDC, en d’autres termes, c’était que la sécurité à Beni était une affaire de la CIRGL plutôt que de la SADC.

Alors que les conditions de sécurité se détérioraient au Mozambique et dans l’est de la RDC et que les liens entre les deux situations devenaient de plus en plus évidents, la SADC ne pouvait plus ignorer les situations à Beni et Cabo Delgado. Le sommet extraordinaire de Dar-es-Salaam tenu en novembre 2020 a ainsi créé deux forces de réaction rapide (Quick Reaction Forces – QRF) une pour le Mozambique et une autre pour la RDC. Celle pour la RDC était conditionnée à la proposition de la MONUSCO de « réaligner l’effectif actuel des troupes de la Brigade d’intervention de la Force (FIB) pour créer la marge de manœuvre des Forces de réaction rapide (QRF) ». Ceux qui proposent la FIB comme possible solution feraient donc mieux de savoir d’abord ce qui est arrivé au réalignement de ses effectifs, tel que prévu en novembre 2020, et de nous dire si la création des QRF décidée par la SADC s’est bien réalisée.

Des raisons fallacieuses pour s’opposer à la force régionale

Ceux qui s’opposent à la Force Régionale invoquent aussi le fait que les troupes de la région sont déjà sur le terrain dans l’Est de la RDC, les Ougandais à Beni/Ituri, les Burundais à Fizi/Uvira et les Rwandais/M23 à Rutshuru. Mettre toutes ces troupes dans le même panier n’est pas honnête car c’est faire montre de mauvaise foi.

Si burundais et ougandais ont leurs troupes en RDC c’est avec l’accord des autorités congolaises, ce qui n’est certainement pas le cas pour les rwandais/M23. Les Burundais sont en RDC pour combattre les RED-Tabara et à ce titre ils collaborent avec les FARDC. Les Ougandais sont à Beni pour combattre les ADF contre lesquelles ils mènent des opérations conjointes avec les FARDC. Les Rwandais, par contre, ont lancé leurs attaques contre les FARDC et la MONUSCO.

Beaucoup profitent de la situation actuelle pour avancer des revendications qui n’ont rien avoir avec la crise. Certains députés se mettent à exiger que le gouvernement publie les accords conclus avec le Rwanda. Cette demande est certes légitime, mais on peut s’étonner qu’elle soit formulée seulement maintenant, plus d’une année après la signature de ces accords ?

De même, certains groupes ont exigé qu’il soit mis « immédiatement un terme à l’opération » conjointe FARDC-UPDF à Beni. Pourquoi une telle exigence seulement maintenant pour des opérations qui durent depuis plus de six mois ? La demande est peut-être justifiée par le manque d’efficacité de ces opérations. Dans ce cas, ces groupes auraient dû le dire et démontrer en quoi les opérations manquent d’efficacité. Le manque éventuel d’efficacité est-il si profond qu’aucun changement correctif ne peut y remédier ? Il ne semble pas que ces groupes aient l’expertise militaire suffisante pour répondre à cette question. Il serait plus préoccupant si la demande de ces groupes était plutôt motivée par des crimes de guerre, des attaques contre la population civile ou des abus des droits de l’homme dont ces troupes étrangères seraient coupables. Dans ce cas, il aurait fallu le dire et documenter ces crimes.

Une réflexion de Pitshou Mulumba
Journaliste politique et Coordonnateur du Journal Le Potentiel/lepotentiel.cd

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